Parlez-vous ouvertement de votre salaire ou de votre situation financière ? Si oui, vous faites partie des Français pour qui l’argent n’est (presque) plus un tabou. Cette évolution surprenante traduit de nouvelles attentes sociétales et des exigences renouvelées en matière de carrière. Où en est le rapport des Français à l’argent et quelle conclusion doivent en tirer les dirigeants d’entreprise ? Analyse d’une relation passionnelle entre les Français et la richesse.
En 2023, les résultats d’une vaste étude Ifop sur le rapport des Français à l’argent dévoilaient des évolutions inattendues. Et pour cause, 83% des personnes interrogées associent l’argent au plaisir ou au bien-être et 68% à l’épanouissement. Des bons de 8 à 9 points en seulement un quart de siècle ! Divinité honnie par une large partie de la population, pointée du doigt comme responsable d’une grande partie des maux de la société, l’argent semble désormais entretenir une relation plus apaisée avec les Français. Autrefois sujet encore plus tabou que la sexualité, “l’argent” trouve peu à peu une place plus honorable dans les conversations.
Sans aller jusqu’à dire que l’argent ferait maintenant le bonheur, la majorité des 1007 personnes sondées expriment leur souhait de se bâtir une culture économique et financière solide afin de mieux maîtriser cette monnaie d’échange dans leur vie quotidienne. Ces lacunes s’expliquent en grande partie par le mépris exprimé par une large partie de la population à l’égard des marchés et de la finance, considérés comme les principaux responsables de l’injustice sociale. Néanmoins, la culture judéo-chrétienne qui imprègne toujours la société et érige la richesse en péché à combattre semble peu à peu laisser la place à une volonté profonde de maîtriser l’argent pour améliorer son quotidien.
75% des personnes interrogées avouent vouloir gagner plus d’argent. Si un tel aveu est traditionnellement perçu comme le summum de la vulgarité, il illustre désormais le lien complexe que tissent une majorité d’adultes avec le confort financier. En témoigne le rapport aux grandes fortunes qui suscitent plus d’admiration qu’à la fin des années 1990 (16% des Français en sont littéralement fascinés) tout autant qu’un regain de méfiance (16% également contre seulement 11% en 1998). D’ailleurs, les salaires des grands patrons souffrent toujours d’une désaffection manifeste de la part d’une part importante de la population. Oscillant entre attrait irrésistible et dédain vertueux, les Français s’engagent à tout petit pas sur un chemin qui inclut l’argent dans la conception du bien-être, de la liberté et du plaisir.
Sans aller jusqu’à la mentalité américaine qui offre une vision de l’argent totalement décomplexée et plébiscite la réussite personnelle et financière, on assiste bel et bien à un tournant dans le rapport au capital financier. En témoigne, notamment, le nombre croissant de Français mettant un point d’honneur à épargner leurs revenus : 42% désormais, soit 8 points de plus en 25 ans. Si les Français se sentent de plus en plus libres de parler ouvertement de leurs objectifs financiers, c’est d’abord parce qu’ils souhaitent devenir maîtres de l’argent et le transformer en un outil à leur service. Ce nouveau rapport de force annonce des changements dans les relations entre les acteurs de l’entreprise.
Cette nouvelle culture de l’argent incite désormais candidats et salariés à parler sans entrave de leur salaire et de leurs objectifs de rémunération, dès l’entretien d’embauche. Cette décrispation culturelle autour de l’argent doit donc sonner comme un signal à l’oreille des dirigeants d’entreprise qui doivent se tenir prêts à des négociations plus fréquentes et plus difficiles concernant les salaires et leur augmentation. Ce nouvel état de fait oblige donc les entreprises à une rigueur absolue concernant leur programme de rémunération et les piliers sur lesquels il repose.
D’autre part, quand les langues se délient entre salariés et patrons, elles se délient aussi entre collaborateurs. Si parler de son salaire était perçu comme un manque de savoir-vivre, à tel point qu’une véritable culture du secret existait entre les salariés, on observe maintenant que les collaborateurs n’hésitent plus à comparer leurs revenus et cherchent à comprendre comment et pourquoi ils pourraient bénéficier d’augmentations. Les entreprises qui octroient encore des primes discrétionnaires doivent désormais réfléchir à la pertinence de ce genre de pratique. Le nouveau rapport des Français à l’argent exige une transparence absolue des responsables RH quant aux salaires et pose la question de la pertinence de certaines innovations salariales.
Le rapport des Français à l’argent est en train de changer et cela a des impacts évidents et immédiats sur la question de l’Humain en entreprise. La volonté d’atteindre des objectifs financiers précis et la facilité grandissante avec laquelle les Français parlent désormais de leur salaire implique de procéder à des transformations au niveau des ressources humaines, et notamment, la manière dont sont recrutés les talents et pilotées les carrières.