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Attirer les talents internationaux : la France à la traîne ?

Rédigé par Hervé de Riberolles | 08 févr. 2023

D’après une étude publiée par l’Insead, la France ne parviendrait pas à attirer et fidéliser les talents internationaux. Ce manque d’attractivité est d’autant plus troublant que l’Hexagone se révèle de plus en plus séduisant pour les investisseurs étrangers. Comment expliquer ce paradoxe et quelles solutions peut-on apporter pour inverser la tendance ?

La France, ce pays qui n’arrive pas à séduire les talents internationaux

 

19e, c’est la place qu’occupe la France dans le classement mondial sur la compétitivité et les talents publié par l’École de commerce international (Insead), pour la deuxième année consécutive. En 2017, l’Hexagone occupait la 24e place de ce palmarès de référence qui passe au peigne fin 133 pays. Si la 19e position est louable, elle place néanmoins la France très loin devant d’autres pays, au premier rang desquels figurent la Suisse, Singapour ou encore le Danemark.

Cette difficulté à attirer et fidéliser les talents internationaux est d’autant plus troublante que la France est plébiscitée à l’étranger pour la qualité de son enseignement supérieur. D’ailleurs, la France est classée en 9e position pour la capacité à produire des talents. La qualité de sa formation continue ne cesse d’être appréciée à l’international et les établissements supérieurs continuent de convaincre de nombreux entrepreneurs étrangers. La rentrée 2021 marque un tournant dans l’histoire de l’enseignement supérieur français qui dépasse la barre des 300 000 étudiants en mobilité internationale. Rien que pour la période 2021-2022, la France comptait plus de 302 900 étudiants étrangers ou en mobilité internationale, soit 11% de l’ensemble des étudiants, d’après le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Mais une fois sortis des grandes écoles ou des universités, les jeunes talents étrangers ne restent pas dans le pays où ils ont étudié. Force est d’admettre que les étrangers et les personnes issues de minorités éprouvent des difficultés certaines à s’intégrer et à décrocher l’emploi qui correspond à leur profil au sein des entreprises françaises. Dépités, ces derniers se tournent naturellement vers l’international et délaissent le projet d’une carrière en France.

Le manque d’ouverture à l’internationale, caractérisé par une maîtrise insuffisante des langues étrangères chez beaucoup d’employeurs français, représente un véritable handicap pour les entreprises françaises qui peinent à recruter à l’étranger. Et quand les embauches se font, de nombreuses recrues préfèrent plier bagage, jugeant l’accueil offert par leur employeur et leurs collègues français insatisfaisant. Ces jeunes actifs sont nombreux à déplorer ces défauts dès le début du processus de recrutement.

Ce manque de diversité se révèle délétère sur le long terme pour les entreprises et l’économie françaises. L’homogénéité est un frein à la créativité et à l’innovation et peut, à terme, menacer le dynamisme économique des entreprises. Attirer et fidéliser les talents internationaux représente un défi aussi majeur et exigeant que celui consistant à retenir les talents français, notamment dans les sciences et l’industrie, qui préfèrent faire carrière à l’étranger une fois leur diplôme en poche.

Investissement, formation et inclusion : les forces et faiblesses du modèle français

Le palmarès de l’Insead met en lumière de nombreuses faiblesses dont souffre le modèle français. Si l’enseignement supérieur français continue d’être prisé, ses fondations restent fragiles. Les établissements français peinent à proposer des formations pertinentes portant sur les compétences professionnelles et techniques. La volonté de former principalement des Bac+5 a naturellement renforcé le manque de personnels qualifiés intermédiaires, et ce, malgré le développement de l’apprentissage.

Mais les lacunes du système éducatif français n’empêchent pas les investisseurs de se tourner massivement vers l’Hexagone. La France figure dans le top 10 des pays les plus attrayants pour les investisseurs, d’après une étude publiée par Forbes en 2021. Un statut confirmé en 2022 puisque l’Hexagone se maintient à la première place européenne des pays accueillant des investissements internationaux créateurs d’emploi, selon les chiffres officiels. Les investissements dans des projets industriels sont d’ailleurs en hausse de 41% et cet attrait s’explique par les compétences des professionnels français qui rendent inutile d’embaucher à l’étranger pour les investisseurs.

Cet intérêt renouvelé des investisseurs pour la France laisse présager une recrudescence des embauches de talents internationaux. En effet, si de nombreuses entreprises étrangères décident de s’implanter dans l’Hexagone, il s’en suivra, naturellement, un afflux de talents étrangers qui permettra de rééquilibrer le tissu des professionnels qualifiés et talentueux en France. Décidé à accélérer ce cercle vertueux, le gouvernement planche déjà sur de nouvelles mesures favorisant l’inclusion des travailleurs étrangers.

 

De nouvelles mesures pour les secteurs en tension

Afin de soulager les secteurs en tension, comme l’hôtellerie-restauration, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et le ministre du Travail Olivier Dussopt ont annoncé des mesures concrètes qui seront prochainement étudiées dans le cadre du nouveau projet de loi d’asile et immigration. Parmi ces propositions, la création d’un titre de séjour spécial pour les métiers en tension. L’objectif est à la fois de régulariser les travailleurs en situation irrégulière et attirer des professionnels étrangers. À la clef, la formation des travailleurs internationaux en plus de règles très strictes empêchant la réorientation professionnelle et l’abandon de poste.

De prime abord, ces mesures semblent aller dans le sens d’une meilleure inclusion des professionnels internationaux. Pourtant, de nombreux dirigeants d’hôtel et de restaurants, le secteur principalement visé par le nouveau projet de loi, soulignent que si ces mesures sont un soulagement pour les professionnels en situation irrégulière, 21% de leurs collaborateurs sont étrangers, la création d’un titre de séjour spécifique ne permettra pas de combler massivement le manque de main-d’œuvre.

En outre, ces projets ne sont pas à destination des talents internationaux dont manquent cruellement les grandes entreprises françaises, mais plutôt des actifs moins diplômés. À ce jour, il faut encore réfléchir à une stratégie globale et pertinente pour retenir les jeunes diplômés étrangers formés en France et rendre plus efficaces les processus de recrutements à l’international. En plus des difficultés d’accueil et d’inclusion des talents internationaux, ces derniers dénoncent aussi les salaires peu attrayants proposés par les entreprises françaises.

Le salaire fixe français : des chiffres qui ne disent pas tout

Les jeunes talents qui tournent le dos à la France présentent régulièrement le salaire moyen comme insuffisant. En France, le salaire médian s’élève à 15,2 euros de l’heure dans le privé contre 27,1 euros au Danemark. Le revenu national brut par habitant en France, qui était de 3 524,2$ en 2019, était également loin derrière celui de Singapour, 4 865,8$, et de la Suisse, 7 329,2$, première du classement établi par la Banque mondiale.

Mais si la France n’occupe que la 20e place mondiale, c’est d’abord parce que la protection sociale est financée par le prélèvement de cotisations sociales auprès de l’employeur. Dans d’autres pays, comme en Scandinavie, celle-ci est financée par l’impôt sur le revenu. Aussi, les salaires attrayants que peuvent faire valoir les entreprises étrangères s’expliquent par un manque d’aides sociales et de couverture santé. Les salaires fixes français ne peuvent certes pas se targuer de chiffres aussi avantageux, mais traduisent une protection sociale importante et une qualité de vie que beaucoup de pays envient à la France.

 

Qualité de vie, protection sociale, enseignement supérieur de prestige et formation continue de qualité sont autant d’atouts dont la France peut se targuer. Ce n’est qu’en acceptant d’affronter ses failles structurelles qui expliquent les difficultés à attirer et garder les talents étrangers que le monde de l’entreprise français pourra inverser la tendance et accélérer la boucle vertueuse initiée par les investisseurs étrangers, de plus en plus nombreux à comprendre le potentiel inégalé de l’Hexagone dans de nombreux secteurs économiques.