Le Covid-19 et les confinements que ce virus a entraîné ont contraint gouvernements et entreprises à imposer le télétravail. Ce travail à distance a ainsi permis à permis de maintenir au maximum l’activité économique de nombreuses sociétés et, plus largement, des différents États. Mais après deux ans de pandémie, de nombreux dirigeants d’entreprise appellent à la fin du télétravail. Qu’en est-il en France et dans le monde et jusqu’où le télétravail est-il souhaitable ? Éclairage et analyse.
La nouvelle est tombée comme un couperet pour beaucoup d’employés : plusieurs grandes entreprises américaines ont décidé de sonner la fin du télétravail. Des centaines d’employés sont donc invités à rejoindre leur bureau ou à démissionner. La raison invoquée ? Le télétravail nuirait à la culture d’entreprise.
Elon Musk, le dirigeant de Tesla, n’aurait pas pu être plus clair : ses collaborateurs doivent venir travailler 40 heures par semaine au sein de l’entreprise ou choisir de la quitter. Selon lui, le télétravail aurait été néfaste pour la performance de l’entreprise. la “culture d’exigence” revendiquée par Tesla aurait ainsi été mise à mal par de longs mois passés loin des bureaux en raison de la crise sanitaire. Aussi, les demandes de télétravail seront désormais étudiées au cas par cas et une décision favorable réservée uniquement aux employés les plus remarquables.
D’autres grands patrons n’ont jamais caché leur hostilité au travail à distance. Ainsi, Jamie Dimon, dirigeant de la banque JP Morgan, fustige ce qu’il estime, lui aussi, être une menace à la culture d’entreprise et à la génération d’idées spontanées. Selon Jamie Dimon, le travail en présentiel est indispensable à l’efficacité des équipes. Traders et financiers sont sommés de quitter leur domicile pour retrouver leur bureau et bénéficier de la proximité stimulante de leurs collègues.
D’autres entreprises américaines d’envergure internationale ont quant à elles dû revoir leur projet de retour forcé au bureau. Face à la contestation importante de leurs employés, excédés à l’idée d’être contraints de rejoindre les locaux de l’entreprise chaque jour de la semaine, Apple et Google ont préféré opter pour un modèle hybride. Télétravail et travail en présentiel sont donc pratiqués, et ce, avec une certaine souplesse.
On le voit, si le télétravail est apprécié de nombreux salariés, il n’en va pas de même pour la plupart des patrons. Il en résulte des politiques RH bien différentes selon les sociétés concernées. Mais ces disparités entre entreprises américaines s’expliquent par la nature même du droit du travail américain, particulièrement flexible. En France, où le Code du travail encadre bien plus strictement les rapports entre employeurs et employés, la situation est toute autre.
Au plus fort de la pandémie, le gouvernement français a imposé le télétravail dans tous les secteurs où il était possible. L’Inspection du Travail n’a ainsi pas hésité à prendre de lourdes sanctions financières contre les entreprises récalcitrantes, pour cause de mise en danger de la vie d’autrui. Mais après deux ans à vivre sous le joug du Covid-19, quel avenir pour le télétravail en France ?
Dans les entreprises françaises, en l’absence d’accord ou de charte, le télétravail n’est pas obligatoire. C’est la raison pour laquelle le retour en présentiel s’accélère également ici, comme outre-Atlantique. Néanmoins, de plus en plus d’entreprises ont fait le choix de signer un accord d’entreprise pour permettre le télétravail. Car de nombreux collaborateurs français ont pris goût à cette plus grande flexibilité permise depuis deux ans. Ce n’est en revanche pas le cas des managers, dont moins de la moitié adhère au principe.
Ainsi, puisque le travail à distance ne satisfait pas la majorité des managers, gênés par la difficulté à diriger leurs équipes, une autre solution semble faire consensus en France : le travail hybride. Comme chez Google ou Apple, cette combinaison de travail à distance et en présentiel est perçue comme une solution équilibrée, adaptée à la plupart des entreprises et des métiers.
D’après les résultats du baromètre du Télétravail et Organisations hybrides 2022, 82% des collaborateurs éligibles souhaiteraient bénéficier d’un mode de travail hybride. Les attentes des salariés semblent d’ailleurs rencontrer celles de leurs employeurs puisque 84% des dirigeants d’entreprise plébiscitent également cette façon de travailler. Le travail hybride permettrait ainsi de répondre à une demande sociale, tout en dopant la productivité et en limitant l’absentéisme en entreprise.
Cette volonté d’assouplir les conditions de travail émane d’un mouvement de société si profond qu’il semble impossible de le freiner. Culturellement, de telles transformations trouvent en France une traduction dans le droit commun. Un des héritages de la crise sanitaire pourrait, très probablement, être une évolution du Code du travail en vue de réviser la définition même du lieu de travail. Mais au-delà des attentes des collaborateurs, le travail à distance a-t-il un sens pour l’entreprise ?
Selon les patrons de plusieurs banques et grandes entreprises américaines, le télétravail met en danger l’efficacité des équipes et menace la performance individuelle et collective. En réalité, selon la nature de l’entreprise concernée, ces craintes ne sont pas toujours justifiées.
Les entreprises qui sont au cœur de l’innovation peuvent légitimement émettre des réserves quant au télétravail. Il semble en effet difficile d’innover sans se rencontrer ni travailler dans le même lieu. Un mode de travail à minima hybride semble ainsi indispensable pour l’efficacité des équipes.
En revanche, des sociétés appartenant à des secteurs plus traditionnels et dont la croissance ne repose pas pleinement sur l'innovation permanente ont moins de raisons de redouter le télétravail. Rien n’indique que la productivité est maximisée si les collaborateurs se rendent à leur bureau. À l’inverse, nombreux sont ceux qui, se sentant plus à l’aise à leur domicile, travaillent plus et mieux. Il est, de toute façon, très simple de vérifier la productivité de certains employés, selon leur activité. Il est par exemple évident qu’un broker qui trade des centaines de millions d’euros par jour ne profite pas du télétravail pour moins s’investir dans sa mission.
La volonté massive de plus de souplesse en entreprise, et donc de plus de télétravail, n’est pas à considérer comme un caprice d’employés souhaitant esquiver les tâches qui leur sont assignées.
Les employés expriment, au contraire, un besoin de confiance et de reconnaissance accru de la partie leur employeur. L'envie d’être plus autonome n’a ainsi jamais été aussi forte dans les entreprises occidentales.
Refuser à ses salariés la possibilité de télétravailler, uniquement par principe, revient à aller à contretemps de l'évolution du monde du travail. Infantiliser ses collaborateurs pourrait être bien plus dangereux que de les autoriser à travailler depuis chez eux.