Dans le monde de la rémunération variable, un dilemme persiste : vaut-il mieux privilégier des primes individuelles pour récompenser les performances personnelles ou opter pour des primes collectives pour renforcer la collaboration au sein et entre les équipes ? La question se pose dans de nombreuses entreprises cherchant à optimiser la motivation et l’engagement de leurs collaborateurs. Cet article explore les deux approches à la lumière de recherches sur la motivation des équipes, tout en proposant des pistes de modèles hybrides qui pourraient offrir le meilleur des deux mondes.
Primes individuelles : un moteur puissant mais risqué ?
Pour de nombreuses équipes où le niveau d’autonomie de chaque collaborateur est important et où la performance individuelle est hautement mesurable, les primes individuelles représentent un levier de motivation de premier plan. Elles permettent à chaque collaborateur de voir le fruit de son engagement, comme le souligne, entre autres, une étude menée par l'Université de Rochester. Cette approche est particulièrement prisée pour les populations commerciales dans le BtoB par exemple, où les primes peuvent atteindre jusqu’à 50 % de la rémunération totale des commerciaux.
Cependant, cette approche n’est pas exempte de risques. La même étude souligne que dans des environnements compétitifs, l’excès de récompenses individuelles peut nourrir une atmosphère de compétition, voire de rivalité entre collègues. La pression pour atteindre les objectifs peut générer du stress et, parfois, nuire aux projets nécessitant une forte coopération entre équipes. Des entreprises ont ainsi pris le parti de réorienter leur modèle de primes, en réduisant la part de la rémunération individuelle au profit d’incitations collectives, dans l’espoir d’encourager la cohésion et le travail collaboratif.
Primes collectives : favoriser le succès collectif, mais au détriment de la reconnaissance individuelle ?
Les primes collectives visent à récompenser les équipes sur la base de leurs résultats conjoints, encourageant ainsi une orientation vers les objectifs communs. Cette stratégie est courante dans les organisations où la collaboration est indispensable pour aboutir au produit final. En effet dans cette situation, créer les conditions de la fluidité et de l’efficacité du groupe pour atteindre l’objectif commun est plus important pour l’entreprise que la valorisation d’un top performer qui ne permettrait à lui seul de garantir le succès du projet.
Pourtant ce modèle présente aussi ses propres défis. Les primes collectives peuvent parfois diluer la reconnaissance des performances individuelles. Les collaborateurs les plus performants peuvent ressentir une forme d’injustice si leur contribution n’est pas pleinement prise en compte.
Par ailleurs, un système trop collectif ne permet pas d’inciter réellement les moins bons performers à faire mieux. Pour éviter cet écueil, certaines entreprises optent pour une reconnaissance publique des réalisations individuelles (par exemple un concours aboutissant à offrir des voyages aux premiers…), même si la récompense principale liée à la rémunération variable reste collective. Cela permet aux plus performants de sentir que leur travail est valorisé.
Enfin, lorsque les primes deviennent « trop collectives », elles sont parfois perçues comme redondantes avec les dispositifs d’intéressement, qui récompensent déjà les collaborateurs pour leur contribution globale aux résultats de l’entreprise. Cette redondance peut réduire l’impact en termes de motivation.
Motivation et satisfaction : les apports de la théorie de l’autodétermination
L’efficacité des primes, qu’elles soient individuelles ou collectives, dépend pour beaucoup de leur impact sur la motivation intrinsèque des collaborateurs.
Selon la théorie de l’autodétermination, développée par Deci et Ryan, les primes individuelles améliorent la motivation intrinsèque en renforçant les sentiments de compétence et d’autonomie, deux moteurs psychologiques clés de la motivation. Cependant, les primes collectives peuvent aussi renforcer le sentiment d’appartenance, autre pilier de cette théorie, surtout lorsque les équipes partagent des valeurs et des objectifs communs. Une entreprise peut ainsi maximiser la motivation de ses employés en associant des récompenses qui stimulent l’individualité tout en encourageant le travail collaboratif.
Vers un modèle équilibré de rémunération variable
En se basant entre autres sur ces différentes études, de nouveaux modèles de rémunération variable se sont développés, combinant primes individuelles et collectives. Cette approche hybride permet d’apporter une reconnaissance personnelle tout en renforçant les synergies inter et intra équipes. Il s’agit là d’une solution puissante, en particulier si certains critères individuels et collectifs sont évalués au sein d’un même bonus (ou composante de primes), et non pas de manière indépendante ou additive. Ainsi un collaborateur ne peut maximiser sa prime que si il surperforme individuellement, tout en ayant créé les conditions du succès collectif.
Toutefois, la mise en œuvre de cette théorie doit être soigneusement pensée pour éviter certains pièges. Voici quelques erreurs fréquentes à éviter :
- Intégrer des critères collectifs par principe, notamment dans les dispositifs de primes d’équipes travaillant de manière très autonome. Cette incohérence avec la réalité de leur travail ne peut être une source de forte motivation.
- A l’inverse, une autre erreur serait d’exclure des critères collectifs au nom du principe de l’individualisation de la performance, même lorsque ces critères sont pertinents. À mesure que les entreprises accumulent de nouvelles données de performance, certaines informations ne sont accessibles qu’à un niveau collectif. Ignorer ces indicateurs parce que l’entreprise ne souhaite que des indicateurs individuels pourrait la priver d’opportunités d’aligner ses dispositifs de primes à sa stratégie de manière plus fine, surtout qu’il est possible de moduler certains paramètres pour en maitriser précisément les effets (poids du bonus, modalité d’évaluation de la performance…).
- Enfin choisir un niveau de collectif trop large, qui regroupe des personnes ayant en réalité qu’un impact faible sur le critère de performance en question. Le niveau de collectif le plus pertinent est souvent celui qui est le plus restreint tout en intégrant toutes les personnes clés dans la réussite du projet.
Les primes individuelles et collectives, bien qu’ayant chacune leurs avantages et inconvénients, sont deux outils essentiels pour stimuler la motivation et améliorer la performance globale des équipes. En associant les deux types de primes, les entreprises disposent d’un levier puissant pour engager leurs collaborateurs tout en les alignant sur les priorités stratégiques de l’organisation. La clé réside dans l’équilibre entre ces deux outils, équilibre qui peut fortement être modulé selon les organisations et les équipes.