Alors que la nouvelle de la récente augmentation de salaire de Carlos Tavares, directeur général du groupe automobile Stellantis, suscite la polémique, il semble important de comprendre comment et pourquoi une telle rémunération est possible. Fabien Lucron, Directeur du Développement chez Primeum et Expert en rémunération variable décortique les composantes du salaire annuel de Carlos Tavares et analyse les raisons de sa récente augmentation.
« Plutôt que de porter un jugement sur la récente augmentation de salaire de Carlos Tavares, il est plus pertinent de comprendre comment est construite sa rémunération. Pour ce faire, il convient de répondre à deux questions concernant sa rémunération variable : celle-ci récompense-t-elle une performance réelle et son bonus est-il réversible ? À ces deux questions, la réponse est oui », Fabien Lucron, Directeur du Développement chez Primeum et Expert en rémunération variable.
36,5 millions d’euros, c’est le montant du nouveau salaire annuel de Carlos Tavares et les raisons de la controverse alimentant à nouveau le débat sur la rémunération des patrons des grandes sociétés. Ce salaire global, validé par plus des deux tiers des actionnaires du groupe Stellantis a de quoi donner le vertige à la majorité des actifs. Pourtant, à y regarder de plus près, la construction de la rémunération de Carlos Tavares n’est pas incohérente.
En réalité, le salaire fixe du patron de Stellantis est de 2 millions d’euros annuels, ce qui n’est pas extravagant pour un poste qui consiste à diriger le plus gros groupe automobile du monde en termes de marques et d’employés. Stellantis ne compte pas moins de 14 marques automobiles et, de fait, rémunère des milliers d’employés. Outre-Atlantique, et même ailleurs en Europe, la majorité des patrons ayant de telles responsabilités exigeraient un salaire fixe bien plus élevé.
En 2024, Carlos Tavares perçoit donc un bonus de performance de 24 millions d’euros dont 11 millions d’euros en cash et 13 millions d’euros en actions. Le fait qu’une grande partie de son bonus lui soit reversé sous forme d’actions est une très bonne pratique car cela correspond aux Long Term Incentive (ou « Incentives à Long Terme »), cet élément de rémunération qui consiste à aligner les intérêts des cadres sur ceux de leur entreprise et pour une longue durée. Autrement dit, dans le cas de Carlos Tavares, ce dernier a tout intérêt à ce que son groupe continue de se porter au mieux, au risque de voir la valeur de son bonus diminuer. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que jusqu’à présent, Carlos Tavares s’est soucié de la santé économique de sa société.
« À performance exceptionnelle, bonus exceptionnel. Si tel n’avait pas été le cas pour Carlos Tavares, il ne se serait pas vu attribuer une prime aussi élevée. Il suffit de regarder les chiffres : Stellantis fait 189 milliards d’euros de chiffre d’affaires dont 18,6 milliards de résultat net, soit 10% du chiffre d’affaires. Dans le secteur de l’automobile, c’est une performance absolument exceptionnelle », Fabien Lucron, Directeur du Développement chez Primeum et Expert en rémunération variable.
Pour se faire une idée plus précise de la performance réalisée par le groupe Stellantis, piloté par Carlos Tavares, il suffit d’analyser les résultats économiques de la concurrence : le géant Volkswagen dépasse très largement Stellantis en termes de chiffre d’affaires, puisqu’il avoisine les 322 milliards d’euros. Mais sa marge nette est de 5,6%, soit près de deux fois moins que celle de son concurrent. D’un point de vue strictement mathématique, la performance réalisée par le groupe Stellantis, grâce aux décisions de son directeur général, est inédite et explique le montant du bonus qui lui est octroyé cette année.
En revanche, l’autre partie du bonus accordé au directeur général de Stellantis est une prime exceptionnelle, laquelle est plus difficile à expliquer car il n’est pas précisé sur quoi elle est indexée. Manifestement, cette prime est liée à deux succès remportés par Carlos Tavares : le rachat d’une grande entreprise de batteries électriques, et la transformation du groupe vers l’électrique. Il faut reconnaître que la transformation de l’automobile vers l’électrique impose une capacité de résilience extraordinaire et des efforts phénoménaux en raison des délais imposés au secteur automobile par l’Union européenne pour aboutir au zéro émission d’ici à 2035.
Néanmoins, il n’est pas certain que cette prime exceptionnelle de 11 millions d’euros soit réversible. Il semblerait qu’elle s’apparente au « bonus qualitatif » aussi connu comme la « prime managériale », à la différence que dans le cas de Carlos Tavares, c’est son comité d’administration qui a décidé de lui octroyer ce bonus. Cette partie de la rémunération, plus opaque, peut légitimement susciter davantage d’interrogations et de débats, du moins en l’absence d’informations plus précises entourant la décision du montant.
Les réactions épidermiques que suscitent la rémunération des patrons des grandes entreprises en France ne doivent pas faire oublier deux choses : l’impact positif qu’ont ces entreprises sur l’économie quand elles réussissent et la différence de salaire non négligeable qui séparent les grands patrons français des autres. Ainsi, quand Carlos Tavares a pris les rênes du groupe, il a permis de redresser des marques qui étaient sur le déclin et de préserver les emplois de dizaines de milliers de salariés. C’est pourquoi la comparaison, très populaire en France, avec les footballeurs, n’a pas lieu d’être. Un grand patron fait vivre jusqu’à des dizaines de milliers de familles et doit justifier de fait par des résultats économiques, ses prétentions salariales.
En outre, aux États-Unis, notamment, d’autres CEO et patrons qui réussissent aussi bien que Carlos Tavares sont en général plus rémunérés que lui, et ce dans la plupart des secteurs. Cette absence d’alignement sur le marché international qui génère des salaires en moyenne plus bas, est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles la France peine à attirer les talents internationaux. C’est pourquoi la mise en perspective du salaire global de Carlos Tavares, de ses résultats et des prétentions qui pourraient être les siennes à l’étranger permet de relativiser le montant de sa rémunération variable.
Loin des passions, l’analyse et la mise en contexte rigoureuses des éléments de salaires des patrons de grandes entreprises comme Carlos Tavares devraient présider tout jugement hâtif concernant le montant des rémunérations.