La baisse de salaire peut-elle être une alternative aux PSE (Plan de Sauvegarde de l’Emploi) qui se profilent en France ? Alors que l’impact de la crise liée au Covid-19 sur le PIB a été revu à la baisse par le gouvernement; annoncée à plus de 20% dans de premières prévisions, la chute serait moins catastrophique que prévu avec une perte estimée à 17%; certaines entreprises fortement fragilisées par la crise sanitaire proposent à leurs salariés une baisse de leurs salaires en contrepartie d’un engagement à maintenir des emplois. Ces négociations à la baisse des salaires sont rendues possibles grâce aux accords dits “de performance collective”, plébiscités par les employeurs, mais remis en question par les syndicats, méfiants vis-à-vis de ces dispositifs qui ont par le passé montré qu'ils ne garantissaient pas, à eux seuls, la préservation de l’emploi sur le long terme.
Alors que de plus en plus d’entreprises envisagent des licenciements, une question se pose entre salariés, syndicats, et employeurs : peut-on baisser les salaires en contrepartie d’un engagement sur le maintien des emplois ?
“Il y a des alternatives aux licenciements. J’appelle les entreprises en difficulté à négocier des accords de performance collective, créés par les ordonnances travail. Plus de 350 ont été signés depuis leur création.” Muriel Pénicaud, Ministre du Travail, sur Twitter.
Certaines entreprises se déclarent prêtes à limiter, voire à renoncer aux suppressions de postes envisagées en contrepartie d’un effort collectif de la part des salariés. C’est le cas notamment de la compagnie aérienne Ryanair, laquelle a clairement demandé à son personnel navigant en France, et notamment aux pilotes touchant les plus hauts salaires, d’accepter de baisser leur rémunération pendant cinq ans pour éviter un licenciement.
Le secteur de l'aéronautique n’est pas épargné par la crise sanitaire, annulation des commandes et défauts de paiements obligent certaines entreprises leaders du marché à procéder à de nombreux licenciements. Ainsi, Derichebourg Aeronautics Services, sous-traitant d’Airbus et Dassault a déjà démarré des négociations avec les syndicats sur l’éventuelle mise en place d’accord de performance collective. Le groupe envisage la suppression de 700 postes dans le cadre d’un PSE, nombre de licenciements qu’il pourrait revoir à la baisse si les salariés acceptaient notamment de renoncer à leur treizième mois, mais aussi à leurs indemnités de transports. Derichebourg s’engage ainsi à réduire l’ampleur du PSE en contrepartie d’efforts de réduction de salaire consentis par les salariés. Le groupe a ainsi signé le 12 juin dernier, un accord de performance collective et de maintien de l’emploi, lequel garanti aux salariés qu’aucune rupture de contrat de travail pour motif économique ne sera réalisée jusqu’en juin 2022 malgré la baisse de plus de 50% du chiffre d’affaires de la société.
Le secteur des médias et de l’édition est également impacté par la crise sanitaire qui provoque une chute des ventes des journaux papiers. Le journal l’Equipe envisagerait ainsi de baisser les salaires et de supprimer treizième mois et RTT, pour éviter de devoir se séparer de certains collaborateurs. Le journal annonce prendre ces dispositions “en échange d’un maintien de l’emploi jusqu’au 31/12/2024". À l’occasion de la première réunion de négociation avec les représentants syndicaux faisant suite à l'annonce du projet d’accord de performance collective, les salariés du journal ont fait part dans le cadre d’un courrier adressé à leur direction de leur refus de baisser leurs salaires et de diminuer leurs RTT. « Depuis des années, nous avons fourni beaucoup d'efforts et subi une dégradation permanente de nos conditions de travail. Dans le même temps, les plans sociaux se sont enchaînés », déclaraient-ils dans une tribune signée par 225 d’entre eux, issus de tous les titres de la SAS l’Equipe.
Selon le site officiel travail-emploi.gouv, ”des accords de performance collective peuvent être conclus afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi.” Le site du gouvernement précise que ces accords peuvent comporter des stipulations visant à aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition; aménager la rémunération, dans le respect des salaires minima hiérarchiques définis par convention de branche; ou encore à déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.
Par ailleurs, il est à noter que la particularité de l’accord de performance collective réside dans son articulation avec le contrat de travail. Les clauses de l’accord se substituent aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail avec l’accord du salarié. Ainsi, toujours selon le site travail-emploi.gouv.fr, si le salarié s’oppose à l’application de l’accord, il peut être licencié pour un motif sui generis (c’est-à-dire fondé sur le refus de l’accord); il bénéficiera alors d’un abondement exceptionnel de son compte personnel de formation afin de lui permettre d’envisager une éventuelle reconversion professionnelle.
Les accords de performance collective (APC) remplacent les accords de maintien dans l’emploi depuis les ordonnances Travail de 2017, et servent de cadre légal aux baisses des salaires demandées par les entreprises se trouvant en difficulté économique. Le dispositif des accords de performance collective ne peut excéder cinq ans et offre la possibilité à toute entreprise qui le souhaite, et en proie à des difficultés économiques, de pouvoir remettre en cause les dispositions contractuelles initialement signées avec les salariés. Baisse de rémunération, réaménagement du temps de travail par le biais de la suppression de RTT, amplitude horaire plus importante, heures supplémentaires majorées de manière moins attractive, mais aussi changement de poste, de site, et organisation du travail plus large font parties des éléments sur lesquels les accords de performance collective peuvent avoir une incidence.
L’employeur ne peut déroger au Code du travail dans les dispositions prises dans le cadre d'un accord collectif de performance. Ainsi, les cinq semaines de congés payés ou encore les minimas salariaux prévus par les conventions collectives de branche ne peuvent être remis en question.
La conclusion d’un accord de performance collective engage l’entreprise à ne pas licencier ses salariés, où le cas échéant, dans une proportion plus faible que celle prévue dans le cadre d’un PSE classique
Si l’entreprise ne tient pas ses engagements en matière de maintien de l’emploi, elle est tenue de verser des indemnités aux salariés, celles-ci devant être initialement prévues dans l’accord signé. Selon le site du ministère du Travail, lorsqu’un accord de performance collective a été valablement conclu, ses stipulations se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail comme expliqué plus haut, y compris en matière de rémunération, de durée du travail et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise. Enfin, l’employeur dispose d’un délai de deux mois à compter de la notification du refus du salarié pour engager une procédure de licenciement. Si, dans ce délai, l’employeur engage une procédure de licenciement à l’encontre du salarié ayant refusé l’application de l’accord, ce licenciement repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse.
Selon un article Bfmbusiness reprenant une information officielle de la Ministre du Travail Muriel Pénicaud, un peu de plus de 350 APC auraient été signés depuis leur création, et ces derniers pourraient se multiplier en conséquence à la crise sanitaire que la France traverse, qui laisse présager une crise économique sans précédent. La ministre a ainsi appelé les entreprises en difficulté à privilégier les accords de performance collective plutôt que de recourir aux plans sociaux pour préserver les emplois.
Les syndicats sont divisés sur les accords de performance collective. Selon un article du Journal du Dimanche, chez Derichebourg seul le syndicat FO aurait accepté le principe, en revanche, dans le secteur aérien, et plus précisément chez Ryanair, ce même syndicat représentant le SNPNC (le Syndicat National du Personnel Navigant Commercial) aurait dénoncé “un chantage au licenciement” en réponse aux propositions formulées par la compagnie aérienne. Notons par ailleurs que le syndicat des pilotes de ligne, le SNPL, aurait lui donné son accord en échange d’un réel engagement sur le maintien de l’emploi.
Certaines expériences passées ont montré que les efforts fournis par les salariés en matière de baisse de salaire, d’aménagement d'organisation du travail, etc., n’étaient pas toujours suivis d’effets. Rappelons par exemple le cas de l’usine Smart de Hambach en Moselle, les salariés avaient accepté de revenir aux 39 heures pour parvenir à sauver leur site d’une délocalisation. En 2019, Daimler, le groupe allemand qui avait racheté Smart annonçait finalement sa délocalisation partielle en Chine. Une situation similaire a été observée dans d’autres contextes d’accord de performance collective, parmi les plus parlants, le cas de l’usine Continental de Clairoix. Les salariés ont collectivement accepté de réduire leur salaire, puis la direction a quand même décidé de fermer le site. “Si les entreprises qui continuent de produire, ou ont une relance, demandent à leurs salariés de travailler plus longtemps, c'est qu'elles ont des carnets de commandes bien remplis, auquel cas elles feraient mieux d'embaucher", déclarait Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT dans un récent article bfmtv.com. Dans ce même article, Jean-Hervé Lorenzi, Président du Cercle des Économistes, a défendu quant à lui que les APC étaient "l’une des solutions" pour préserver l'emploi, mais “pas la seule”. Selon l’économiste, “il faut imaginer bien d'autres mécanismes et notamment pour les jeunes, comme des primes à l'embauche. C'est une panoplie d'éléments qui permettront la catastrophe et les APC en font partie".
Par ailleurs, certains patrons et hauts cadres ont décidé de baisser leur rémunération par solidarité, notamment dans les entreprises les plus fragilisées par la crise sanitaire. Pour contribuer à la pérennité de leur société, voire à sa survie, de nombreux patrons de PME ont décidé de rogner sur leur salaire voir de le suspendre espérant traverser la crise sanitaire. Dans les grands groupes également, plusieurs hauts dirigeants ont fait ce choix, parmi eux Denis Machuel, directeur général monde du groupe Sodexo, qui a divisé par deux son salaire pour les six prochains mois, ou encore Jean-Dominique Senard, PDG de Renault qui a annoncé une baisse de 25% des salaires des dirigeants du groupe automobile pour faire face à la crise liée au Coronavirus et ses conséquences économiques.