Défaut de paiement du client, départ en cours d’année, divers problèmes d’encaissement… De nombreuses raisons peuvent inciter les employeurs à reprendre les commissions et primes versées à ses collaborateurs. Mais cette pratique est-elle légale et équitable ? Alix Frileux, avocate spécialiste en droit du travail chez Versant Avocats décortique les subtilités du Code du travail concernant ce sujet aussi sensible que délicat.
« La commission est un mode de rémunération directement proportionnel aux résultats obtenus. En principe, la commission est due même en cas d’annulation ultérieure de la commande (Cass. soc., 13 février 1984, n° 81-42.241) », Alix Frileux, avocate associée chez Versant Avocats.
La jurisprudence se fait rare concernant les reprises de commissions. Pourtant, lorsque le client n’a pas payé et qu’il a été stipulé, très spécifiquement, dans les règles de rémunération variable, que l’entreprise versait les commissions sur encaissement, ou bien qu’un commercial est payé à la commande et qu’il y a un problème d’encaissement, les entreprises ont tendance à vouloir reprendre les commissions. Alix Frileux, qui accompagne et conseille les employeurs et responsables RH, souligne que la jurisprudence se fait plus précise en matière de VRP (Vendeur, Représentant et Placier).
La question de la reprise abusive, ou non, de la reprise de commissions, a déjà fait l’objet de procédures en Cour de cassation. Celle-ci a d’ailleurs « considéré qu’à défaut de convention ou d'usage contraire, la commission est due au VRP dès que la commande est prise et acceptée, sans qu'il y ait lieu de prendre en considération la livraison de la marchandise ou le paiement par le client (Cass. soc., 25 mars 2009, n° 07-43.587) », Alix Frileux, avocate associée chez Versant Avocats.
Attention, cependant, aux clauses du contrat de travail, qui peuvent justifier une reprise de commissions. En effet, « une clause dite de « vente menée à bonne fin » peut prévoir que la commission n’est due qu’après exécution de la commande et encaissement du prix. Cette clause doit être prévue au contrat liant le VRP à l'employeur ou résulter d'un usage pratiqué dans l'entreprise », complète Alix Frileux.
Bien entendu, la reprise de commission peut être jugée invalide selon l’implication de l’employeur dans le défaut d’encaissement. Alix Frileux précise que « si le non-paiement de la facture est une conséquence d'une faute commise par l'employeur, le VRP a droit à ses commissions malgré la clause (Cass. soc., 18 décembre 1973, n° 72-40.393). De plus, l’application de la clause ne doit pas priver le salarié des commissions qui lui étaient dues sur des contrats effectivement réalisés (Cass. soc., 25 mars 2009, n° 07-43.587) ».
En cas de départ en cours d’année, les reprises d’avance sur commissions sont assez courantes. L’avocate explique cette pratique : « dans le secteur des VRP, les commissions sont payées au moins tous les trois mois (article L. 7313-7 du Code du travail). Il peut être mis en place un système d’avance sur commissions. Dans ce cas, une somme « fixe » qui n’est pas définitivement acquise au salarié lui est versée (un remboursement peut être exigé). En cas de départ de l'entreprise, le VRP devra rembourser l'éventuel excédent qu'il a perçu. Néanmoins, ce système exige une régularisation chaque trimestre afin que l’avance ne soit pas transformée en un fixe définitivement acquis (Cass. soc., 15 oct. 2002, n° 00-42.364) ».
Selon les clauses du contrat, la raison du non-encaissement et la situation du salarié vis-à-vis de l’entreprise, la reprise de commissions peut être juridiquement conforme. Néanmoins, dans un souci d’optimisation de sa politique RH et de préservation de sa marque employeur, cette pratique questionne. Comme le rappelle Alix Frileux, les salariés n’étant pas responsables du règlement des commandes, l’équité de cette mesure est discutable. Aussi, avant de procéder à une reprise de commissions, il convient d’estimer la pertinence de cette décision pour l’entreprise et l’employé concerné.
« S’agissant des primes d’objectifs, il s’agit d’un élément de rémunération du salarié résultant de son contrat de travail. Le droit à une prime d'objectif étant lié à la réalisation d'un quota, le salarié qui n'a pas atteint son quota n'y a pas droit », Alix Frileux, avocate associée chez Versant Avocats.
Les primes sur objectifs ont la particularité de n’être obtenues qu’en cas, précisément, de l’atteinte de l’objectif assigné. « La prime d’objectif impose de définir les objectifs, « lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, celui-ci peut les modifier dès lors qu'ils sont réalisables et qu'ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d'exercice » (Cass. soc., 2 mars 2011, n° 08-44.978) », Alix Frileux, avocate associée chez Versant Avocats.
L’experte prévient néanmoins les employeurs qui tenteraient de justifier le non-paiement de ces primes en raison de l’absence de définition de ces objectifs : « Le droit du salarié à une prime d'objectifs résultant de son contrat de travail, l'employeur ne peut pas se prévaloir du défaut de détermination des objectifs à réaliser, qui relevait exclusivement de son pouvoir de direction, pour échapper au paiement d'un élément de la rémunération convenue (Cass. soc., 21 juin 2006 n° 04-48.502) ».
Toutefois, la reprise de primes sur objectifs est légale, dans une certaine mesure : « en cas d’avance de paiement d’une prime d’objectif, la jurisprudence n’évoque que le remboursement en cas de condition de la prime non respectée. En l’espèce, la présence du salarié dans l’entreprise au jour du versement de la prime (Cass. soc., 23 janvier 2019, n° 17-12.542). Il semble donc possible de faire des « avances sur prime d’objectifs » dont le remboursement pourrait être demandé en cas de non-accomplissement des objectifs fixés en début d’exercice », Alix Frileux, avocate associée chez Versant Avocats.
Concernant les reprises de commissions, le droit français donne davantage d’informations concernant les VRP. Si, en principe, les commissions sont dues, l’employeur peut néanmoins en exiger le remboursement en cas de défaut d’encaissement, à la condition que les clauses du contrat de travail du salarié le permettent.
Bien entendu, la responsabilité de l’employeur dans le problème de règlement doit être inexistante pour effectuer une reprise de commission. La pratique est plus courante et mieux acceptée s’agissant de départs en cours d’année et générant un excédent que le salarié doit rembourser. Pour ce qui est des primes sur objectifs, l’employeur peut en exiger le remboursement à condition de prouver que les objectifs n’ont, en réalité, pas été atteints. C’est notamment le cas des avances sur primes d’objectifs. Là encore, l’employeur doit s’assurer que sa responsabilité n’est pas engagée, en particulier dans la définition et la détermination de ces objectifs.
En conclusion, si les reprises de commissions et de primes d’objectifs sont possibles, dans certains cas, ces mesures doivent être prises avec prudence et en dernier recours. L’entreprise doit veiller à être équitable avec ses collaborateurs et à ne pas les pénaliser en cas de non-paiement des commandes par les clients.