L’introduction d’indicateurs dits « qualitatifs » dans les dispositifs de rémunération variable des équipes de promotion est depuis quelques années souvent présentée comme une rupture avec les pratiques de l’industrie du médicament.
La volonté d’afficher, aux yeux des tutelles et des régulateurs publics, une démarche volontariste dans le domaine du bon usage du médicament conduit même quelques acteurs de l’industrie et les commentateurs du secteur, à présenter cette évolution en opposant exigence économique et besoin de qualité.
Cette opposition ne se justifie pas :
La fonction de la rémunération variable étant d’inciter les bénéficiaires des plans de primes à orienter leurs actions dans le sens des résultats attendus par l’entreprise, elle a bien vocation à les inciter à respecter des critères de qualité au même titre qu’un résultat économique selon les enjeux propres à chaque entreprise.
La question, qui est donc posée aux entreprises du médicament pour la part variable des rémunérations de ces équipes terrain, est en réalité de :
L’évolution du contexte, marchés et cadre réglementaire, contribue à faire évoluer l’exigence de performance des entreprises vers une définition plus large :
Pour autant, la reconnaissance de la nécessité de faire évoluer le modèle historique ne peut pas conduire à la négation du caractère économique de l’activité d’une entreprise pharmaceutique. Un excès de zèle dans cette direction nuit même à la crédibilité de l’exigence de qualité exprimée par l’entreprise à l’égard des équipes de promotion.
La question qui est donc posée, à des degrés divers, par l’ensemble des entreprises du médicament, en particulier les grands acteurs très concernés par l’image de leur secteur d’activité mais aussi réellement soucieux de délivrer un service de qualité à leurs clients et aux patients :
-> La rémunération variable doit-elle porter l'incitation de la qualité auprès des collaborateurs ?
Trois grands axes sont au cœur des réflexions conduites pour compléter l’exigence économique. Ils sont, aujourd’hui, explorés par les quelques entreprises ayant cherché à intégrer une dimension qualitative dans leur politique de rémunération variable depuis une petite dizaine d'années :
La satisfaction des « clients » au sens large (patients, professionnels de santé, organismes payeurs...) sur le bénéfice et le service apportés par l’offre de l’entreprise
La conformité aux exigences réglementaires propres au secteur du médicament (développement du bon usage, application des règles prescrites par l’ensemble des tutelles, ...)
La modification des pratiques professionnelles induites par l’évolution de l’environnement et l’excellence dans la mise en œuvre des compétences clés : savoir, savoir-faire, savoir-être ont parfois besoin d’évoluer rapidement par rapport aux référentiels actuels ou passés
Le cadre d’exigence ayant été redéfini, même partiellement, la question de la mesure des résultats obtenus donc de la nature des données disponibles, pour des entreprises de santé habituées à l’abondance dans le domaine des données économiques, reste aujourd’hui critique :
Dans les domaines de la satisfaction client ou de la conformité, des données externes ont commencé à être progressivement proposées à l’industrie. Elles présentent les caractéristiques suivantes :
Cependant, le développement de la visite à distance (VAD), lié à la crise du COVID-19, est en train d'accélérer fortement la digitalisation du métier. Ceci va permettre aux laboratoires de mesurer un grand nombre d'indicateurs connus des services de marketing digital : taux d'ouverture des emails, taux de click, engagement et aussi satisfaction client comme le Net Promoter Score (NPS). Les bonnes pratiques des secteurs d'activité beaucoup plus digitalisés (Uber, Amazon, ...) vont permettre de revoir assez significativement les pratiques de l'industrie pharmaceutique sur ce sujet.
Le fait que ce genre d'indicateurs devienne disponible va également favoriser ce que les organisations appellent de leurs vœux : le fonctionnement collaboratif entre les équipe de promotion, les équipes médicales et les équipes marketing. En effet, quel meilleur objectif à partager entre ces équipes que la satisfaction client ?
Dans le domaine de la transformation des pratiques professionnelles et de la conformité, quelques entreprises ont identifié qu’elles pouvaient et devaient donc fabriquer leurs propres données :
Quelle que soit l’orientation retenue par ces entreprises pour compléter leur exigence de résultat économique par des aspects de qualité, les premiers retours d’expérience ont montré que ces deux exigences gagnaient à être opposées de manière indissociable aux bénéficiaires :
Dans ce contexte général, deux grandes typologies de démarches au sein des industries du médicament sont observables :
Les entreprises attachées à cette conception se distinguent moins par leur taille ou leur contexte de croissance que par la nature des marchés qu’elles adressent majoritairement. Elles sont moins concernées par des marchés spécialisés ou hospitaliers, moins impliquées dans le développement de nouveaux métiers au sein de la filière promotion tels que les KAM, les Responsables des relations institutionnelles ou les Médecins Régionaux.
Dans ce second groupe des entreprises ayant cherché à compléter leurs exigences économiques par des critères qualitatifs, on peut distinguer trois grandes approches :
Janssen (J&J), Ipsen, Sanofi, Celgene (BMS), MSD, par exemple, se sont ainsi attachés à développer une approche fondée sur l’excellence de la mise en œuvre des plans d’actions tant des acteurs traditionnels que sont les délégués médicaux que des nouveaux rôles, en particulier, les KAM. Ces démarches reposent pour l’essentiel sur la construction d’un référentiel d’exigence interne et d’une méthodologie rigoureuse d’évaluation par les managers. Les données externes sont peu utilisées et restent opposées au niveau national lorsqu’elles présentent un intérêt.
L’approche des quelques acteurs, très peu nombreux, qui commence à se préciser repose sur le croisement de données externes sur la satisfaction des clients désagrégées au moins au niveau régional avec un référentiel d’évaluation interne couvrant le plus souvent les champs de la qualité d’exécution du plan d’actions dans les domaines de la compliance, du bon usage, de la maîtrise des compétences clés, ...
La crise sanitaire a fondamentalement bouleversé ces pratiques qui commençaient à se structurer :
En conclusion, il convient de souligner quelques éléments de méthode qui ressortent des expériences conduites par les entreprises ayant travaillé à l’introduction d’une partie qualitative dans leurs dispositifs de rémunération variable :
Ce dernier point est également la seule manière pour l’entreprise de se doter d’un avantage compétitif en se donnant précisément les moyens d’aligner ses dispositifs d’incitation sur ses propres enjeux clés tout en se préservant d’un alignement sans valeur ajoutée sur la pratique de ses concurrents.