Comment fixer la rémunération variable d’un salarié ? Le débat s’est intensifié ces dernières années sur les modalités de fixation des clauses de rémunération variable, souvent sources de litiges entre employeurs et salariés. Dans une récente affaire s’est ainsi posée la question de la fixation de la partie variable de la rémunération : dans quelle mesure celle-ci peut-elle dépendre de l’unique volonté de l’employeur ?
Si le conseil des prud’hommes, composé de conseillers prud’homaux non considérés comme des juges professionnels, est la juridiction compétente pour les litiges individuels entre employeurs et salariés au sujet du contrat de travail, de sa rupture, mais aussi des questions de rémunération, c’est la cour d’appel, voire de cassation en dernier recours, composées toutes deux de magistrats professionnels qui prennent le relais en cas d’appel du jugement du conseil des prud’hommes.
Comment ces différentes juridictions appréhendent-elles la nature licite ou illicite des différentes clauses de rémunération variable ? Comment la « subjectivité » de l’employeur est-elle évaluée par ces différentes instances ? À l’appui d’un jugement récent rendu par la Cour de cassation, retour sur le rôle clé, parfois discuté, de la justice dans la fixation légale de la rémunération variable en France.
La rémunération variable peut-elle dépendre de la seule volonté de l’employeur ?
Dans une récente affaire datant du 9 mai 2019 et relayée par le site internet de la Revue Fiduciaire, un salarié a estimé que les modalités de fixation de sa rémunération ne résultaient pas d’éléments objectifs indépendants, mais uniquement de la volonté de l’employeur.
Ainsi, l’employé a demandé à voir juger illicites les modalités de fixation de sa rémunération variable dans la mesure où il estimait que celles-ci ne dépendaient et ne résultaient que de la seule volonté de son employeur, et ne reposaient ainsi sur aucun élément objectif. Pour justifier cette situation, le salarié a soutenu que l’employeur fixait lui-même le montant des contrats de prestation commerciale servant de base au calcul de la rémunération, sans en fournir les modalités de réalisation objectives.
Dans un premier temps, la cour d’appel avait débouté le salarié de sa demande à voir juger illicites les modalités de fixation de sa rémunération variable
La cour d’appel avait ainsi retenu que la fixation de la partie variable de la rémunération du salarié ne résultait pas uniquement de la volonté de l’employeur, mais bien d’un ensemble de contraintes et de facteurs économiques et commerciaux ( nature du dossier, prix du marché, enjeux économiques, nécessité de rentabilité) et qu'il appartenait à la société d'adopter des solutions de bonne gestion permettant de réguler l'activité de ses collaborateurs et leur rémunération en répartissant les missions qui leur sont confiées selon l'ampleur des tâches et le caractère lucratif variable de chaque dossier.
Ce raisonnement a été rejeté par la Cour de cassation : la cour d’appel ayant constaté que les honoraires servant de base de calcul à la rémunération variable étant ceux retenus par la direction générale à laquelle était rattaché le salarié pour l'établissement du compte d'exploitation, ce dont il résultait que la variation de la rémunération dépendait de la seule volonté de l'employeur, la cour d'appel a ainsi violé l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. (Cass. soc. 9 mai 2019, n° 17-27448 FSPB (2e moyen))
Une clause de rémunération variable doit réunir 3 conditions pour être valable
Si la Cour de cassation n'a jamais remis en cause, dans leur principe, les clauses de variabilité de la rémunération, elle a toutefois précisé les conditions auxquelles doivent obéir de telles clauses. Ainsi, une clause de rémunération variable ne peut être considérée comme valable que si elle réunit trois conditions indispensables, celle-ci doit être fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur ; elle ne doit pas faire porter « le risque d’entreprise » sur le salarié et enfin elle ne doit pas avoir pour effet de réduire la rémunération en dessous des minimas légaux et conventionnels. (Cass. soc., 2 juill. 2002, no 00-13.111, Bull. civ. V, no 229 ; voir no 2230).
Le non-respect du SMIC entraîne des sanctions pour l’employeur
En 2019, le montant du SMIC horaire en brut s’élève à 10,03 euros de l’heure. Les salariés doivent ainsi tous recevoir une rémunération au moins égale au SMIC. Par ailleurs, ce montant est réévalué chaque année au 1er janvier, et l’employeur a pour obligation de respecter ces évolutions. Verser un salaire mensuel en dessous du SMIC expose directement l’employeur à des sanctions financières même si ce dernier régularise la situation par la suite, de plus, la responsabilité pénale de l’entreprise peut être engagée pour non-respect de la législation sociale. Le non-respect du SMIC est donc puni d’une amende de 1500 euros, applicable autant de fois qu’il a été établi de contraventions au principe du respect du SMIC. (Cour de cassation, chambre sociale, 17 mars 2016, n° 14–22.121, le manquement de l’employeur à son obligation de paiement d’une rémunération au moins égale au SMIC cause nécessairement un préjudice au salarié)
Si l’obligation de garantie des minimas légaux et conventionnels se justifie aisément, les deux autres critères de licéité d’une clause de rémunération variable suscitent davantage d’interrogations, de la part des employeurs, mais aussi des salariés.
Rappelons par ailleurs que si la clause de la rémunération variable du salarié est déterminée dans le contrat de travail, celle-ci ne peut pas être modifiée sans l’accord du salarié. À défaut d’un accord entre l’employeur et le salarié sur le montant de la rémunération variable, il incombe au juge de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et des éléments de la cause, de sorte que, si l’objectif de résultats dont le contrat de travail fait dépendre la rémunération variable n’a pas été déterminé, il appartient au juge de le fixer par référence aux éléments de la cause.
Ainsi, si l’employeur ne précise pas les objectifs à réaliser par un salarié, celui-ci a droit au versement intégral de la part variable de la rémunération concernée.
La justice peut-elle mesurer les critères relatifs à l’objectivité de la fixation de la rémunération variable ?
L’objectivité des paramètres de fixation de la rémunération variable est le seul critère permettant d’échapper au pouvoir discrétionnaire de l’employeur. La rémunération variable peut ainsi dépendre du chiffre d’affaires ou encore d’un pourcentage de ventes.
L’employeur a l’obligation de ne pas faire peser « le risque d’entreprise » sur le salarié
La notion de risque d’entreprise fait référence à des clauses imposant au salarié d’assumer financièrement des déficits d’exploitation, ou encore certains coûts incombant normalement à l’employeur. Ainsi, la situation d’une gérante-directrice de magasin dont le contrat prévoyait que la partie variable de sa rémunération serait « amputée des compléments de salaires qui auront éventuellement été versés au personnel vendeur du magasin pour lui permettre d'atteindre le salaire garanti » a été jugée comme illicite au regard du risque d’entreprise portée par la gérante. (Cass. soc., 1er mars 2000, no 97-45.554).
Des objectifs élevés pourraient-ils être considérés comme « inatteignables par nature » par la justice ?
Si une entreprise décide qu’elle souhaite faire 10% de croissance, est-ce que « par nature », le législateur peut estimer du caractère réalisable de cet objectif ? Dans quelle mesure peut-il mesurer l’objectivité d’une fixation d’objectifs ?
Dans le cas où un salarié serait uniquement rémunéré via du commissionnement et qu’il ne serait pas rémunéré autrement qu’en variable, ne bénéficiant donc pas d’un salaire fixe, ce dernier prendrait un « risque intégral ». Dans ce genre de situations, le législateur a prévu des règles et des sanctions afin d’éviter au salarié de porter le risque d’entreprise. Pour contourner cette règle, les entreprises ayant ce besoin font de plus en plus appel à des personnes externes ayant leur propre structure comme les entreprises de livraison de repas ou les plateformes VTC.
De même, si l’employeur pénalise un salarié en lui retirant une prime en raison d’un défaut de paiement de son client, ceci reviendrait à lui faire porter le risque d’entreprise à titre personnel et individuel. Si dans ces situations la frontière entre ce qui est licite de ce qui ne l’est pas est relativement simple à appréhender, l’évaluation du caractère spécifique, mesurable, atteignable ou encore réaliste d’un objectif est, quant à lui, plus difficile à évaluer.
Le sujet de la rémunération variable, relativement récent dans l’histoire du droit du travail compte ainsi autant de décisions de justice que de cas recensés par la jurisprudence. Si une entreprise, bien qu’évoluant dans un marché totalement sinistré, demande à ses salariés de doubler le chiffre d’affaires, la justice peut être amenée à lui demander de ré-évaluer les objectifs fixés. Dans la majorité des cas, il est très difficile de juger et d’évaluer le bien-fondé « légal » d’une fixation d’objectifs, sensiblement différente d’une entreprise à l’autre et dépendant fortement du contexte économique dans lequel ces dernières évoluent.
Le conseil des prud’hommes : des litiges évalués par des personnes issues du monde du travail
La justice intervient ainsi quand l’entreprise outrepasse ses droits au détriment de ceux de ses salariés. Rappelons que les conseils des prud’hommes sont, depuis leur création en 1806, la juridiction spécialisée en charge de traiter les problématiques relatives au droit du travail. Tout salarié est ainsi en droit de saisir le conseil des prud’hommes en cas de litige avec son employeur, indépendamment de la forme de son contrat de travail (contrat à durée déterminée, contrat à durée indéterminée, contrat d’apprentissage, etc.).
L’esprit du conseil des prud’hommes réside dans le fait que les litiges sont tranchés par des personnes qui connaissent les problématiques liées au monde du travail. Les membres des conseils des prud’hommes ne sont pas des juges professionnels et proviennent du monde du travail. Ils sont nommés de manière paritaire par les organisations patronales et syndicales.
Par ailleurs, il est toujours possible de faire appel d’un jugement du conseil des prud’hommes devant la cour d’appel et voir son affaire rejugée par différents juges « professionnels », qui eux sont spécialistes du droit. L’affaire est alors jugée une deuxième fois : c’est le principe du double degré de juridiction. La cour d’appel contrôle en fait et en droit : elle examine les éléments matériels de l’affaire et vérifie qu’il n’y a pas eu d’erreurs de droit, elle est ainsi amenée à trancher également les litiges relatifs à la fixation de la rémunération variable. La cour d’appel peut soit confirmer la décision rendue par les premiers juges, notamment les conseils des prud’hommes concernant les sujets relatifs au droit du travail, soit l’infirmer, c’est-à-dire l’annuler, la réformer, totalement ou partiellement.