D’après l’Institut de veille sanitaire, sur l’année 2017, la souffrance psychique au travail aurait directement concerné près de 480 000 Français, parmi eux, 12 à 13 % présenteraient des signes de burn-out.
En juillet dernier, la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, suggérait de faire payer aux employeurs une partie des arrêts de travail des salariés français. La réaction de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, ne s’est pas fait attendre. Dans une lettre envoyée au Premier ministre, elle s’est opposée au projet gouvernemental de faire financer par les entreprises les arrêts maladie de courte durée. Parmi cette hausse des arrêts de travail, on retrouve ceux liés aux risques psycho-sociaux dont le nombre a littéralement explosé ces dernières années. Selon une récente étude du cabinet Stimulus, plus de 24% des salariés français se disent être en « état d’hyperstress », état jugé dangereux pour leur santé. La souffrance au travail coûterait ainsi chaque année, pour tous les pays d’Europe réunis, entre 3 et 4 points de PIB. Au-delà de la question économique, il est nécessaire de s’intéresser au fond du problème : le mal-être au travail.
S’il peine encore à être reconnu officiellement par les pouvoirs publics, le mal-être au travail n’en reste pas moins une réalité qui n’épargne aucun secteur d’activité, ni aucune profession. Selon un récent rapport de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, en France, on estimerait à plus de 3,2 millions de personnes concernées, plus ou moins directement, par le syndrome d’épuisement professionnel. Du burn-out au bore-out, en passant par le brown-out, la souffrance au travail prend des formes différentes, parfois difficilement appréhendables par les employeurs, et notamment les managers d’équipe.
Le site officiel du service public nous rappelle que, « chaque employeur doit veiller à la santé et à la sécurité au travail de ses salariés en mettant en place des actions de prévention, sous peine d’engager sa responsabilité civile et/ou pénale », le Code du travail impose ainsi à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires afin de protéger la santé physique et mentale de ses collaborateurs.
Comment lutter alors contre la souffrance au travail ? Parmi les leviers d’action mis en place par les entreprises, les aspects de rémunération, et plus particulièrement, ceux relevant de la rémunération variable sont sous-exploités. Comment cette dernière peut-elle s’inscrire dans la quête de bien-être au travail des salariés ? En quoi peut-elle participer à lutter contre la souffrance au travail ? Dans cet article, une analyse des effets positifs d’un système efficace et adapté de rémunération variable dans la prévention des risques psycho-sociaux.
La rémunération variable souffre d’une image négative du fait d’une méconnaissance de ses mécanismes
Selon le dernier baromètre de la rémunération variable publié en 2016, 42 % des dirigeants d’entreprise pensent qu’il est compliqué de mettre en place la rémunération variable.
La rémunération variable mal comprise par les employeurs et les salariés
Si les experts s’accordent tous sur le danger de la fixation d’objectifs trop élevés et le stress qu’on leur y associe, il est important de rappeler que l’essence même de la rémunération variable est d’instaurer un climat de travail sain. Elle vise justement, à donner un cadre de performance répondant à des exigences légales précises, dont l’unique but est de faciliter la réussite des salariés.
La rémunération variable fait partie du package de rétribution global que proposent les entreprises. Elle est versée sous forme de primes et ne doit pas être confondue avec l’intéressement et la participation, qui eux, rétribuent le chiffre d’affaires d’une société dans son ensemble.
En complément au salaire fixe, elle est attribuée en fonction de résultats individuels et/ou collectifs et récompense les performances atteintes. La rémunération variable évolue en fonction des périodes et s’adapte aux objectifs de performance d’une société. Son but est ainsi de motiver les collaborateurs en leur donnant un cap et un cadre de travail clairs dans lesquels évoluer.
Il y a un très fort taux de méconnaissance de la rémunération variable. Certains employeurs ne maîtrisent pas assez bien les caractéristiques d’une rémunération variable efficace. En outre, si cette dernière est mal mise en place et ne respecte pas un grand nombre de règles notamment dans sa construction mais aussi dans sa communication, elle peut produire des effets négatifs sur les conditions de travail des salariés, et par extension, sur leur bien-être au travail.
Le classement des salariés développe un sentiment de compétition négatif
Le classement ou « ranking », est une pratique managériale venue des États-Unis et consiste à évaluer et à classer les collaborateurs afin de distinguer les plus performants des autres. Dans certaines entreprises, l’outil de ranking est sur-utilisé à tort, pour mesurer la performance des salariés, dans des conditions à la frontière de la licéité et qui soulèvent les questions d’utilité de ce genre de pratiques.
Ce procédé, poussé à son paroxysme, développe un sentiment de compétition malsain entre les collaborateurs et peut impacter la santé psychologique des salariés, voire inhiber leur performance.
Une efficacité de la rémunération variable basée sur les conditions réelles de travail des salariés et non sur des décisions prises par les actionnaires
La stratégie de rémunération variable ne peut pas être dictée par la notion de payback. En finance, le payback ou « délai de récupération », représente le temps nécessaire pour que les flux de trésorerie prévisionnels dégagés par un investissement rentabilisent le coût d'investissement initial. En d’autres termes, il s’agit du ROI, ou retour sur investissement.
Dans certaines grandes sociétés, il arrive souvent que les actionnaires exigent un return ou payback, très rapide et important. Les actionnaires demandent ainsi un certain niveau de rendement, duquel dépendra l'objectif national de vente à réaliser pour l'ensemble de la fonction commerciale. Dans ce fonctionnement vertical, l’entreprise se base sur le niveau de rendement exigé pour fixer les objectifs aux salariés. Cette manière de penser la fixation d’objectifs, et par extension une partie de la rémunération variable, aboutit à des politiques insensées, très éloignées de la réalité du terrain.
La rémunération variable favorise l’épanouissement professionnel des salariés dès lors qu’elle respecte les conditions d’une « bonne mise en tension »
« Le travail est dans son étymologie lié à la douleur et à la difficulté. Même ceux qui aiment leur métier fournissent des efforts. Il est donc normal d’avoir besoin d’être reconnu. Au travail, la reconnaissance n’est pas seulement quelque chose qui nous fait du bien comme ça de temps en temps. Elle nous offre une appartenance à un groupe et nous permet de forger une estime sociale de soi. », Hélène Vecchiali, Psychanalyste et coach – Article psychologies.com
Une mise en tension « saine » va se traduire par deux éléments forts : la fixation d’objectifs SMART au salarié, et la mise à disposition d’outils pour l’aider à calibrer son plan d’action afin de les atteindre
Le salarié doit comprendre ce qui est attendu de lui et doit trouver du sens aux missions qu’il réalise mais aussi aux objectifs fixés. Il doit pouvoir envisager sereinement l’atteinte de ces objectifs en mettant en place un plan d’action outillé et appuyé par le management. Ces conditions de « bonne mise en tension » favorisent l’engagement des salariés et diminuent drastiquement leur stress. Une fixation d’objectifs qui émanerait d’un lointain fond d’investissement réclamant des centaines de millions d’euros de résultat, sans aucun ancrage avec la réalité quotidienne des collaborateurs, serait le meilleur moyen d’instaurer une mise en tension malsaine, voire dangereuse pour ces derniers.
Un système de rémunération variable correctement calibré lutte directement contre le bore-out et le brown-out
Le bore-out, ou syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui, caractérise l’ennui au travail et l’insatisfaction personnelle qui en résulte. Tout comme le burn-out, qui lui décrit une certaine surcharge de travail, il conduit le salarié à de grandes souffrances psychologiques. Ce dernier estimant n’avoir pas assez de tâches à effectuer, s’ennuie, jour après jour, et finit par se désintéresser de ses missions. Dans de contexte précis, la fixation d’objectifs et le suivi managérial prend un sens particulièrement important. En effet, cela va permettre de motiver le salarié par le biais de la réalisation d’éléments concrets réduisant son sentiment d’inutilité.
Le salarié sait où il va, comment avancer étape par étape dans la réalisation de ses objectifs et ainsi ne s’ennuie pas : sa charge de travail ayant été analysée pour être en adéquation avec une gestion raisonnable du temps. D’une autre manière, l’instauration de challenges va dynamiser le salarié et l’inviter à s’impliquer davantage dans ses missions, seul ou en équipe. Dans son ouvrage « le bore-out syndrom », l’économiste Christian Bourion, indique que « le travail sans travail » toucherait ainsi environ 30% des travailleurs français.
Le brown-out, décrit quant à lui, la perte de sens au travail. Dans son ouvrage « quand le travail perd tout son sens », le docteur François Baumann explique ce phénomène : « le brown-out est directement issu du burn-out, et se traduit littéralement par une baisse de courant ». Selon lui, cette baisse d’intérêt, « exprime la douleur et le malaise ressentis suite à la perte de sens de ses objectifs de travail et à l’incompréhension complète de son rôle dans la structure de l’entreprise ». La rémunération variable, basée sur des objectifs clairs et précis, permet de réduire ce sentiment d’inutilité et de donner un sens et une direction au travail des salariés.
De plus, une rémunération variable bien construite se doit d'être le reflet de la stratégie de l'entreprise. Cette stratégie donne le cap, le sens à suivre par l'ensemble des collaborateurs et permettra au salarié de savoir précisément ce qui est attendu de lui dans la future direction de l'entreprise.
La reconnaissance au travail, important levier de motivation, voit son effet amplifié si elle est couplée à une rémunération variable adéquate
La fixation d’objectifs aux collaborateurs n’est pas systématiquement associée à une rémunération. Par exemple, sur une fonction de contrôleur de gestion, le DAF pourra fixer des objectifs, sans pour autant les rémunérer : produire des reportings de qualité, produire rapidement certains documents, etc. En entretien annuel, le manager peut valoriser les réalisations d’un collaborateur en lui témoignant une certaine gratitude et du respect, qui s’inscrivent dans le concept de reconnaissance au travail, pilier du bien-être des salariés.
La reconnaissance au travail peut ne pas être accompagnée de rétribution financière, bien que, d’après de récentes études sur les motivations des salariés, elle serait plus puissante en étant corrélée à des gains financiers. Certains salariés français placent ainsi le besoin de reconnaissance au même niveau que l’espérance de gagner une rémunération intéressante. L’entreprise peut donc mettre en place des objectifs sans y associer de rémunération variable, néanmoins, il y a de fortes chances pour que leur impact sur la motivation des salariés soit très faible.