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Phénomène de l'opting-out : quand le pouvoir fait peur aux femmes

Rédigé par Hervé de Riberolles | 07 déc. 2022

Refus de se présenter à un poste à responsabilité et démission des femmes dirigeantes sont autant de symptômes de l’opting-out. Cette tendance, perçue comme étant la traduction de la peur du pouvoir qui hanterait les femmes ne serait-elle pas plutôt la conséquence de la profonde lassitude des femmes face à un monde de l’entreprise en retard sur son temps ? Anatomie d’un vent de révolte et des solutions proposées par celles qui ont renoncé au pouvoir.

L’opting-out ou le phénomène de la « Grande Rupture »

« Le résultat est sans appel  : après de longues études et une carrière brillante, certaines femmes se confrontent à un cadre professionnel qui n’est pas compatible avec le rôle que la société attend d’elles, elles quittent tout et avec leur départ, l’entreprise perd de grands potentiels. Car il ne faut pas se tromper : les femmes ont énormément de choses à apporter à des niveaux décisionnels, il suffit juste de leur créer l’environnement qui permet d’exprimer ce plein potentiel. », Dalale Belhout, Head of Content chez DigitalRecruiters, digitalrecruiters.com.

Alors que la désormais célèbre et redoutée « Grande Démission » met les entreprises au défi, un autre phénomène commence à faire trembler les fondations de nombreuses sociétés : l’opting-out. Derrière cette dénomination se cache la volonté de nombreux actifs prometteurs de renoncer aux postes à responsabilités. Un nouveau bouleversement qui en dit long sur le monde du travail, d’autant plus qu’il concerne principalement les femmes.

Un « pas de côté » particulièrement féminin

Opting-out est un terme anglais que l’on peut traduire par « faire un pas de côté » ou bien « se retirer ». Il s’agit plus précisément de refuser de présenter sa candidature à un poste élevé dans la hiérarchie de l’entreprise, voire même à en démissionner. En réalité, cette tendance n’est pas nouvelle puisqu’elle faisait déjà l’objet d’études et d’observations au début des années 2000. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est que l’opting-out concerne désormais nettement plus les femmes que les hommes.

En effet, selon les résultats d’une étude publiée par L’observatoire de la Mixité, en collaboration avec le bureau Veritas et Safran en 2022, près de 32% des femmes refuseraient une promotion, contre 30% des hommes, et 48% d’entre elles renonceraient à présenter leur candidature à un poste à responsabilité contre 41% de leurs collègues masculins. Des chiffres très révélateurs, qui font écho à une situation semblable outre-Atlantique, tant est si bien que les auteurs du rapport Women in the Workplace 2022, publié par LeanIn et McKinsey, n’hésitent plus à parler de « Grande Rupture ».

Une perte de talents pour l’entreprise

Dans le monde occidental, force est de constater qu’il devient de plus en plus difficile de recruter parmi les femmes les plus talentueuses, et plus difficile encore de fidéliser celles déjà en poste. Il en résulte une baisse significative du nombre de dirigeantes et de managers féminins. Les conséquences se font déjà très nettement ressentir. Ainsi, certains métiers, pourtant en totale transformation, à l’instar de la fonction de directeur commercial, sont en manque criant de femmes. Leur absence fragilise l’entreprise et met en péril son équilibre. Mais comment expliquer cette difficulté renforcée à atteindre la parité dans le monde du travail ?

 

L’ultime plafond de verre des femmes qui réussissent

« Il est indéniable qu’un rattrapage s’est opéré dans les années 1990 et 2000. On a vu apparaître davantage de femmes incarnant des modèles de réussite dans les organisations. En les voyant, on s’est alors mis à rêver qu’il n’y avait plus besoin de féminisme : le progrès vers l’égalité semblait inarrêtable. Et puis deux choses se sont produites par la suite : le progrès qui semblait inéluctable s’est considérablement ralenti et de nombreuses femmes qui avaient des carrières superbes se sont heurtées à d’ultimes plafonds de verre ou bien ont choisi d’abandonner leur carrière en cours de route. Dans les organisations, les femmes qui avaient « réussi » vivaient de plus en plus mal le décalage avec une culture sexiste et des pratiques d’un autre âge qui étaient encore dominantes », Laetitia Vitaud, autrice et conférencière sur le futur du travail, welcometothejungle.com

Dans un livre retentissant, sorti en 2021, l’ancienne avocate d’affaires Céline Alix, y relate sa propre expérience de l’opting-out et les raisons qui l’ont poussée à quitter un poste prestigieux pour fonder sa propre entreprise. Elle y présente les témoignages de nombreuses femmes aux carrières d’exception qui ont, elles aussi, décidé de claquer la porte du monde de l’entreprise traditionnelle. Au fil des pages se dessinent les contours d’un monde du travail à la structure très verticale, où les manigances valent plus que le mérite et où les femmes doivent surmonter trois redoutables obstacles.

La maladie du présentéisme

Dans beaucoup d’entreprises, l’efficacité des collaborateurs est d’abord mesurée selon le temps passé sur le lieu de travail. Rester tard au bureau et augmenter délibérément son volume horaire est culturellement bien perçu par la plupart des managers et dirigeants d’entreprises en France. Cette obsession pour le présentéisme peut devenir une charge insurmontable pour les salariés qui ont des enfants, ou qui souhaitent simplement s’accorder du temps libre, en dehors de l’entreprise. Pour beaucoup de femmes, la pression devient trop forte. 

Aux regards réprobateurs de leurs collègues s’ajoutent les jugements négatifs de leur hiérarchie, quand ce n’est tout simplement pas un refus catégorique qui leur est avancé dès lors qu’elles demandent à avoir leur mercredi après-midi de libre ou à pouvoir quitter leur poste à 18h. Le sentiment de honte qui tenaille la plupart de ces femmes peut devenir insupportable et les inciter à quitter leur société afin de trouver l’équilibre dont elles ont besoin entre leur vie professionnelle et leur vie privée.

Le fléau du sexisme

À l’ère du mouvement #MeToo, et tandis que la parole des femmes victimes de sexisme tend à se libérer, force est d’admettre que les inégalités et les discriminations demeurent. L’index de l’égalité salariale n’a pas permis de balayer la culture patriarcale qui a façonné le monde de l’entreprise moderne. Encore aujourd’hui, on constate que les femmes négocient moins leur salaire que les hommes et que leurs demandes d’augmentation aboutissent généralement moins que celles de leurs collègues masculins. Réussir sa carrière ne nécessite pas uniquement d’être performant. Il s’agit aussi, et surtout, d’adopter l’attitude sociale attendue par sa hiérarchie.

Une attitude sociale qui est souvent plus difficile à adopter pour les femmes qui, en plus de manœuvrer avec brio, doivent faire face à des situations de harcèlement toujours très fréquentes et qui peuvent commencer dès l’embauche. Le sexisme ordinaire, qu’il provienne des hommes et même, dans certains cas, d’autres femmes, décourage de plus en plus de jeunes actives talentueuses qui n’ont plus envie de “jouer un rôle” pour atteindre leurs objectifs et obtenir le salaire qu’elles méritent.

Le poison de la perfection

En plus d’être des employées dévouées, prêtes à sacrifier leurs soirées pour rester tard au bureau, mais aussi des collègues qui acceptent docilement brimades et injustices quotidiennes pour préserver leur carrière, les femmes doivent être des mères disponibles ou encore des épouses attentives. L’enjeu est de correspondre en tous points au portrait-robot de la parfaite femme active, positive et dynamique.

Bien sûr, l’injonction de la perfection n’épargne pas non plus les hommes, qui s’investissent de manière grandissante dans l’organisation de la vie familiale. Mais beaucoup de femmes aux carrières prestigieuses n’ont pas souhaité attendre que la société évolue et cesse de distiller le poison de la perfection pour réagir. Elles ont au contraire décidé de précéder les changements potentiels dans le monde du travail et d’inventer un modèle d’entreprise qui n’exige pas des salariées une hypercorrection sociale à toute épreuve mais leur permet, au contraire, de s’épanouir à leur rythme et à leur manière.

 

Le monde du travail de demain selon les femmes qui renoncent au pouvoir

« Les femmes qui ont quitté des carrières prometteuses pour tracer leur propre voie ne demandent plus seulement l’égalité au travail, elles souhaitent être actrices de leur vie professionnelle et participer à la définition et à l’évolution de ce monde qui a été créé sans elles (…) Je fais l’hypothèse que le phénomène de ces femmes qui abandonnent des postes à responsabilités pour créer un autre système de réussite constitue un moment charnière de l’histoire du mouvement féministe… » Céline Alix, autrice du livre « Merci mais non merci », welcometothejungle.com.

En 2020, la publication de l’étude Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes révélait que s’il n’y avait que 21,2% de dirigeantes d’entreprises, la France comptait 41,9% de micro-entrepreneuses. Car si les raisons de l’opting-out sont généralement les mêmes en France et aux États-Unis, les conséquences de ce « pas de côté » sont bien différentes d’une rive à l’autre de l’Atlantique. En effet, les Américaines ne bénéficiant pas d’aides sociales pour faire garder leurs enfants, les salariées démissionnaires deviennent le plus souvent femmes au foyer. Mais en France, les dispositifs de garde d’enfants et l’accompagnement de l’entreprenariat féminin permettent à ces femmes de continuer à exercer leur métier, selon leurs propres règles.

Vers une entreprise plus solidaire

Les micro-entreprises, PME et collectifs fondés par des femmes lassées du monde du travail classique se caractérisent d’abord par un esprit de solidarité manifeste. Selon Céline Alix, le partage est la clef de voûte de la vision de l’entreprise qu’ont ces femmes de talent. Le partage des idées, des compétences, des connaissances et des tâches définissent leur manière de structurer l’entreprise idéale. Il en résulte une hiérarchie plus horizontale que verticale où règne la recherche de l’efficacité.

Pour un environnement de travail bienveillant

Pour ces femmes qui ont souffert de l’impossibilité d’équilibrer leur vie professionnelle et personnelle, il va de soi que le travail ne doit pas empiéter sur les autres aspects de l’existence. La délimitation des espaces et des temps de travail est cruciale pour ces femmes qui souhaitent retrouver la maîtrise de leur carrière et de leur quotidien. C’est pourquoi la mise en place d’un management bienveillant est le fondement de leur environnement de travail. La relation professionnelle est totalement redéfinie, aux antipodes du protocole et des codes sociaux en vigueur dans les entreprises traditionnelles.

L’enjeu du collectif

Sans aller forcément jusqu’à parler de sororité, on note, néanmoins, une volonté évidente de travailler en commun. Ces entrepreneuses sont animées par le souhait d’évoluer en équipe et de penser aux intérêts de leur groupe. La stratégie globale doit servir l’ensemble de la collectivité. Le cadre décisionnel est totalement refondu pour une utilisation optimale de l’ensemble des compétences.

 

À bien des égards, les environnements de travail créés par ces femmes talentueuses que l’entreprise classique n’a pas su convaincre, ressemblent à une entreprise utopique où ne règnerait que l’entraide, le soutien et la communication. Cependant, il est indéniable que ces femmes insufflent un nouvel élan au monde du travail dont les structures ne correspondent plus à la société contemporaine. Une nouvelle conception du pouvoir plus inclusive et respectueuse et au rythme plus sain et plus serein. La « Grande Rupture » serait-elle le présage d’un « Grand Renouveau » du monde de l’entreprise ?