Lors d’une conférence de presse le 25 avril dernier, le président Macron a annoncé la reconduction pour 2019 de la prime exceptionnelle défiscalisée, plus connue sous le nom de « prime Macron ».
Ce nouveau dispositif mis en place par le gouvernement en réponse à la crise des « gilets jaunes » avait bénéficié à plus de deux millions de salariés français, lesquels ont reçu en moyenne une prime de 450 euros de la part de leur employeur en 2018.
Cette prime, exonérée d’impôts sur le revenu, mais aussi de cotisations sociales et patronales, s’adressait prioritairement aux salariés dont la rémunération était inférieure à trois fois le SMIC, soit environ 3 600 euros net. Cet avantage sera donc reconduit en 2019 et permettra aux entreprises de verser, une nouvelle fois, jusqu’à 1 000 euros de prime par salarié.
Comment la pérennisation de la prime Macron est-elle accueillie par les entreprises et les organisations syndicales ? Le gouvernement a-t-il eu raison de la reconduire pour cette année ?
Publiée au journal officiel le 26 décembre 2018, la loi « gilets jaunes » permet le versement d’une prime exceptionnelle, exonérée de tous prélèvements sociaux, destinée à « améliorer le pouvoir d’achat des salariés français ». Aucun montant minimum ni obligation de versement ne sont imposés aux entreprises, qui sont donc libres de verser ou non cette prime, d’en fixer le montant, mais également d’en définir les bénéficiaires. Ainsi, l’entreprise peut choisir de verser la prime à l'ensemble de ses salariés ou de la réserver spécifiquement aux collaborateurs les moins bien rémunérés. Par ailleurs, l’entreprise a le droit de moduler le montant de la prime selon le destinataire, en fonction de critères tels que la rémunération, le niveau de classification, la durée du travail et la durée de présence effective au cours de l'année 2018.
La prime ne doit pas remplacer une rémunération déjà prévue par le contrat de travail ou encore par la convention collective, et doit ainsi rester « exceptionnelle ».
« Plus de 40% des entreprises l'ont versée, y compris les petites et les moyennes entreprises. On veut la pérenniser sous forme d'un intéressement régulier chaque année », déclarait Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef lors d’une interview donnée sur RTL le 19 mars dernier. Ce dernier préconisait même de rebaptiser la prime Macron en « prime patron » pour souligner le soutien apporté par les chefs d’entreprise à ce dispositif de prime exonérée de charges sociales et patronales.
Jean-Eudes du Mesnil, secrétaire général de la CPME, la Confédération des petites et moyennes entreprises, plaidait également dans le sens du maintien du dispositif de la prime Macron, « nous sommes 100% favorables à la prime Macron », indiquait-il dans la presse, ajoutant néanmoins deux conditions indispensables à son maintien « que le dispositif reste choisi librement par les entreprises et qu'il ne soit pas soumis à une obligation de négociation, avec un accord d'entreprise à la clé. Et surtout, que cette prime reste défiscalisée et nette de charge. »
En choisissant d’instaurer ce système de prime exceptionnelle, le gouvernement a admis que de nombreux salariés français faisaient face à un problème de pouvoir d’achat et a tenté de trouver une solution, bien que temporaire, à leurs revendications. Ainsi, ce dispositif offre la possibilité aux entreprises qui le souhaitent de verser un complément de salaire, exonéré de charges sociales. Ce geste du gouvernement à destination des salariés les plus modestes avait pour vocation d’apaiser la situation, mais pas celle de régler complètement la question du pouvoir d’achat dans la mesure où il a été pensé comme temporaire.
Les entreprises restent libres de verser ou non la prime Macron, l’État n’imposant pas son versement, mais garantissant à toutes celles qui décident de le faire une exonération des charges sociales habituellement dues lors de versements de salaires ou de primes classiques. Le dispositif de la prime Macron doit-il être perçu comme un aveu de faiblesse de la part du gouvernement qui vient répondre à la demande de hausse de salaire formulée par les salariés par un système temporaire de prime défiscalisée ? Cette prime présente-t-elle des risques pour les salariés ?
Ainsi, sur un salaire fixe d’environ 1 000 euros, l’entreprise devra s’acquitter d’environ 500 euros de charges patronales, somme non négligeable qui entre dans la balance de négociation d’augmentation des salaires. Transformer la prime Macron en une prime pérenne revient ainsi à prendre le risque de la faire in fine entrer dans le package de rémunération globale des salariés.
En pérennisant la prime Macron et en l’attribuant ainsi chaque année, certaines entreprises vont potentiellement en profiter pour ne pas augmenter leurs salariés en évoquant l’attribution annuelle de la prime Macron, laquelle présente un certain intérêt pour les employeurs dans la mesure où elle coûte relativement moins cher qu’une prime traditionnelle soumise aux différentes cotisations patronales.
C’est le cas notamment de l’intéressement ou encore de la participation, lesquels bien que compris dans le package de rémunération globale, ne permettent pas de cotiser à la retraite. Il en va de même pour les différents avantages en nature. Certains experts avancent qu’une pérennisation de la prime Macron n’est envisageable que si cette dernière permet de cotiser, au même titre que le salaire fixe ou variable traditionnel, des droits à la retraite.
Par ailleurs, si certaines entreprises usent de la prime Macron pour limiter les hausses de salaire prévues habituellement pour les salariés, alors il est certain que celle-ci aura un impact négatif sur les retraites et sur les niveaux réels de cotisation. En effet, si la prime Macron remplace purement et simplement un salaire que le collaborateur aurait perçu en temps normal, celle-ci n’étant pas soumise aux cotisations retraite du fait de son exonération de charges sociales, représenterait un manque à gagner certain pour ce dernier, notamment sur son futur niveau de pension de retraite.
Selon Mathieu Plane, directeur adjoint de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), pérenniser la prime Macron pourrait être « une fausse bonne idée ». Dans un article lexpress.fr, il explique que :
« le dispositif a permis de donner un coup de fouet, au pouvoir d'achat de personnes ayant des salaires relativement modestes, à un moment précis », mais que dans la durée, celui-ci poserait deux problèmes : « la défiscalisation priverait l'État de recettes et l'absence de cotisations sociales empêcherait notamment les salariés de cotiser pour leurs retraites ».
Il alerte sur le fait que les entreprises pourraient par ailleurs substituer ou amputer les éventuelles augmentations de salaire prévues initialement, par les sommes attribuées dans le cadre de la prime Macron.
Les entreprises ont accepté de jouer le jeu sur une année, notamment pour mettre en avant une démarche socialement responsable, néanmoins, si ce dispositif venait à se pérenniser et que la prime devenait permanente, elle pourrait devenir un modérateur de la hausse de salaire. En effet, si l’entreprise compte 2 000 personnes touchant en dessous de trois fois le SMIC, elle débourserait chaque année au minimum 2 millions d’euros dans le cadre du versement de la prime Macron ; or réussir à débloquer une telle somme tous les ans peut s’avérer difficile pour certaines sociétés. Malgré cela, les entreprises restent une grande majorité à plébisciter la prime qui permet de valoriser un package de rémunération à la hausse sans impacter le coût de leurs cotisations.
Dans un article lexpress.fr, Laurent Escure, secrétaire général de l'Union nationale des syndicats autonomes (Unsa), partageait ses craintes quant à la reconduction de la prime Macron, « nous ne sommes pas vent debout contre cette mesure, ce ne serait pas raisonnable. Mais on ne peut pas voir cette prime comme une grande concession faite aux salariés. Elle ne doit pas exonérer les entreprises de leurs responsabilités, surtout quand elles ont des résultats positifs. Nous préférons des discussions dans le cadre de NAO (ndlr : négociations annuelles obligatoires). »
Négocier la pérennisation de la prime Macron dans le cadre de NAO représente un intérêt composé pour les syndicats. En effet, une décision validée par NAO permet de modifier structurellement les conditions de travail ou de rémunération des employés, ainsi la prime deviendrait obligatoire chaque année et les entreprises n’auraient plus la possibilité de choisir de la verser ou non.
La CGT, l’une des organisations syndicales les plus importantes du pays, se montre également relativement critique par rapport à la prime Macron. Céline Verezletti, secrétaire confédérale du mouvement, indiquait au sujet de ce nouveau dispositif « c'est une prime facultative et désocialisée pour les entreprises qui masque d'autres enjeux, plus importants comme l'augmentation du SMIC, des minima sociaux et du point d'indice de la fonction publique sur lesquels Emmanuel Macron aurait pu agir. »
Pour qu’une prime soit motivante, elle doit pouvoir être différente en fonction des performances individuelles ; or le dispositif Macron étant collectif, il ne permet aucune différenciation et présente en cela un intérêt limité en termes de motivation des collaborateurs.
Dans le cadre du versement de primes traditionnelles, pour être assuré de les toucher, le salarié doit remplir un certain nombre de conditions, comme notamment l’atteinte d’objectifs particuliers. La prime Macron, quant à elle, versée sans aucune condition de performance ne peut pas constituer un levier de motivation pour les collaborateurs, qui sont certains de la percevoir, indépendamment de leurs résultats.
De plus, le montant attribué étant le même pour tous, elle ne permet pas de graduation dans son attribution, laquelle pourrait récompenser les différents niveaux d’implication de chacun. Ainsi, la prime Macron n’a aucune corrélation avec la performance et n’entre pas dans le schéma motivationnel dans lequel s’inscrivent les autres primes variables, soumises elles aux charges sociales et patronales.