En France, un nombre croissant d’entreprises cotées en bourse choisissent d’intégrer les critères ESG dans la rémunération variable de leurs dirigeants. Cette pratique, directeurs financiers, généraux, en tête. Mais l’interdépendance de la rémunération variable et des ESG est-elle réellement pertinente ?
“Les critères ESG (pour Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) permettent d’évaluer la prise en compte du développement durable et des enjeux de long terme dans la stratégie des acteurs économiques (entreprises, collectivités, etc.). Ces critères peuvent par exemple être : les émissions de CO2, la consommation d’électricité, le recyclage des déchets pour le pilier E, la qualité du dialogue social, l’emploi des personnes handicapées, la formation des salariés pour le pilier S, la transparence de la rémunération des dirigeants, la lutte contre la corruption, la féminisation des conseils d’administration pour le pilier G”, amf-france.org.
Les critères ESG permettent de définir et d'évaluer la performance de responsabilité sociale (RSE) des entreprises. La performance RSE se mesure en prenant en compte les directives prises par l’entreprise afin que ses actions aient un impact positif sur l’environnement et la société.
Depuis 2020, et la promulgation du code Afed-Medef de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées, les entreprises françaises sont incitées à intégrer un ou plusieurs critères extrafinanciers dans la rémunération variable de leurs dirigeants. En 2022, la quasi-totalité d’entre elles ont ainsi adopté les critères ESG dans le calcul de la rémunération variable.
Sous l’impulsion des actionnaires, une part grandissante des sociétés françaises étendent ce mode de calcul de la rémunération variable aux directeurs financiers, ainsi qu’aux membres du Comex. 70% des membres des Comex ont ainsi en moyenne 20% de leur part variable indexé sur les ESG. Mais fin janvier, le député européen Pascal Canfin exprimait le souhait d’aller encore plus loin en généralisant la prise en compte des ESG.
Dans cette volonté de systématiser le calcul du salaire variable en fonction du respect des ESG, le glissement sémantique auquel on assiste n’est pas anodin. En effet, l’acronyme ESG tend à remplacer, dans la communication écrite comme orale, celui de RSE.
“Dans RSE il y a “responsabilité”. La suppression de ce terme et son remplacement par “critère” permet une formulation moins culpabilisante et moins intimidante. D’une certaine manière, on déresponsabilise les acteurs de l’entreprise. Ce coup de communication n’est pas insignifiant : en présentant le même dispositif sous un angle nouveau, on fait le pari qu’ils s’engageront davantage”, Fabien Lucron, Directeur du Développement Primeum et Expert en rémunération variable
Les critères ESG mettent un avant la notion de gouvernance, une notion absente de l’acronyme RSE. Son inclusion donne une nouvelle direction à la politique d’entreprise qui doit maintenant organiser sa stratégie de manière globale, afin de promouvoir l’écologie et le respect des droits de la personne.
À l’image du gouvernement, l’entreprise fait de l’écologie une valeur transversale qui concerne désormais tous les acteurs et tous les domaines. Ainsi, ce sont véritablement les critères ESG qui font sens, au détriment de la démarche RSE, plus circonscrite et d’envergure plus modeste.
“Ces dernières années, les dirigeants ont quasiment systématiquement touché l’intégralité de leur part variable indexée sur des critères ESG. Au-delà d’un degré d’exigence trop faible, les critères extrafinanciers sont dans tous les cas respectés, car sinon les entreprises seront sanctionnées par les actionnaires et le cours de leur action baissera” Fabien Lucron, Directeur du Développement Primeum et Expert en rémunération variable, optionfinance.fr
Mais la systématisation voulue par Pascal Canfin aura-t-elle des conséquences vérifiables et quantifiables pour la protection de l’environnement et des droits sociaux ? Rien n’est moins sûr, car le degré d’exigence des critères ESG reste très difficilement mesurable.
Dans les faits, il paraît peu probable de voir une entreprise refuser d’accorder leurs primes aux membres du Comex, au motif que leur comportement n’aurait pas été suffisamment responsable d’un point de vue écologique et social. L’importance grandissante des critères extrafinanciers n’empêche pas le versement de la rémunération variable.
La raison est d’ailleurs très simple : ce ne sont pas les résultats qui sont évalués, mais l’intention des collaborateurs. L’impact des critères ESG dans la responsabilisation des acteurs de l’entreprise est donc très limité et l’ensemble de la démarche peut facilement passer pour de la poudre aux yeux.
Les critères ESG peuvent être véritablement pertinents à la condition de permettre réellement d’évaluer les objectifs. Par exemple, si les dirigeants d’une entreprise décident de mettre au cœur de leur gouvernance des objectifs de réduction d’émission carbone, ils seraient donc évalués sur la réduction factuelle de ces émissions. Cette application des critères ESG serait bien plus drastique, et probablement plus délicate, mais elle aurait du sens.
Pour le moment, l’indexation des critères ESG des directeurs généraux et, de plus en plus, des directeurs financiers n’a pas de réelle portée sur l’environnement et la société. Pour permettre aux critères extrafinanciers de peser réellement dans la stratégie des entreprises, il faut qu’ils soient utilisés pour évaluer des objectifs exigeants.