« La part de rémunération variable sera calculée notamment en fonction de critères de bonne gestion financière et l’atteinte de cibles de performance précises et quantifiables. Et si les managers ne remplissent pas leurs objectifs, ils ne seront pas reconduits ! » Edouard Philippe – Premier ministre français lors du lancement du comité interministériel de la transformation publique.
Le 29 octobre dernier s’est tenu le comité interministériel de la transformation publique sous l’égide du premier ministre. À cette occasion, le gouvernement a réitéré une promesse de campagne d’Emmanuel Macron : le développement de la rémunération au mérite des fonctionnaires, notamment des « gestionnaires et cadres dirigeants ».
La hausse de la part variable du salaire des fonctionnaires est un sujet sensible sur lequel les anciens présidents de la république se sont déjà penchés : la création du PFR, « prime de fonction et de résultat » en 2008 par Nicolas Sarkozy ou encore le lancement du Rifseep, le régime d’indemnisation des fonctionnaires, porté par François Hollande.
En 2016, Emmanuel Macron déclarait déjà dans son programme de campagne, « nous récompenserons davantage les équipes et les personnes, par des rémunérations plus individualisées, plutôt que par une gestion uniforme du point d’indice ».
Aujourd’hui, si des primes au mérite existent déjà dans la fonction publique, elles sont loin d’être devenues la norme. Selon l’exécutif, seulement 10% des agents de l’Etat seraient concernés par celles-ci.
La généralisation du système de rémunération au mérite des agents de la fonction publique est-elle la solution pour en améliorer le fonctionnement ? En quoi l’augmentation de la part variable du revenu des fonctionnaires peut-elle favoriser une meilleure reconnaissance de la performance individuelle ?
Éléments de réflexion dans cet article.
Aujourd’hui, l’avancement des cadres de la fonction publique est établi sur des critères d’ancienneté qui garantissent une augmentation de salaire annuelle automatique. Ainsi, tout au long de sa carrière, un agent de la fonction publique est rémunéré selon des grilles fixes avec des augmentations lors d'un passage à un grade supérieur mais sans corrélation avec le niveau de performance individuelle.
Dans ce contexte, il n’est pas rare d’observer certaines inégalités entres les agents. De ce fait, si un agent excelle dans son travail et s’investit plus que la moyenne, il sera impossible de le récompenser à hauteur de son investissement personnel, car non considéré par le système d’avancement basé principalement sur l’ancienneté.
De la même manière, un autre agent, qui dans une autre situation serait peu performant et imposerait aux membres de son équipe de fournir un effort supplémentaire, ne verrait aucune conséquence sur sa rémunération et pourrait continuer à gravir les échelons par seul effet du temps. Ce système n’est donc pas incitatif à une meilleure performance mais doit-il l'être ?
Aujourd’hui, la fonction publique représente un actif sur quatre en France. Les agents de la fonction publique sont une large majorité à s’impliquer pleinement dans leur travail et vouloir proposer un service de qualité. Néanmoins, le manque de différenciation entre les performances individuelles de chacun des agents, ne les incite pas à s’investir davantage. Dans cette optique, l’instauration d’une rémunération liée au mérite individuel peur être un moyen d’améliorer la qualité du service proposé. Ainsi, les agents les plus impliqués et les plus performants, devraient logiquement pouvoir bénéficier d’une différentiation d’appréciation de leur travail, aussi bien au niveau individuel que collectif. Mais la notion de service public, ne peut-elle pas être différente de la performance individuelle.
Première administration publique à être entièrement rationalisée en termes de fonctionnement mais aussi en termes d’effectifs, l’administration fiscale propose aujourd’hui un service relativement efficace plébiscité par les bénéficiaires. Les agents opérants dans les services fiscaux et de trésors publics se sont mués en véritables conseillers financiers. Aujourd’hui, ils sont en mesure de donner des conseils afin d’optimiser la situation fiscale des foyers tout en développant un service client de qualité.
L’administration fiscale a été ainsi le premier ministère à mettre réellement en place un système de primes récompensant la performance des agents. La notion de performance est mesurée et incite les agents à rechercher plus de performance et de qualité individuelle.
À la différence d’une entreprise privée, le service public est assuré par l’Etat et financé par l’ensemble des citoyens. En tant que contributeurs fiscaux, tous les Français payent ainsi pour le fonctionnement du service public, qu’ils en bénéficient ou non. L’Etat se doit ainsi d’assurer un service public à la hauteur des attentes des « contribuables ». TVA, CSG, impôts dédiés à la fonction publique, les Français sont les premiers financeurs du service fourni par l’Etat et ainsi leur satisfaction doit être prise en compte et mesurée.
Peut-être pourrait-on envisager d'évaluer la satisfaction globale des bénéficiaires comme indicateur possible au sein d'une rémunération incitative pour certains agents publics. Pour mesurer la satisfaction des « contribuables », l’Etat pourrait mettre en place des enquêtes de satisfaction à travers des formulaires web au niveau d’une organisation dans son ensemble ou, plus localement en ciblant un service particulier.
La maturité managériale est un enjeu central dans la mise en place d’un système de rémunération variable reflétant la performance réelle des agents. Comment éviter les comportements associés au « copinage » et les dérives potentielles dans l’attribution d’une rémunération au mérite ?
Afin d'éviter ces effets, on privilégiera les indicateurs les plus mesurables possibles, surtout lorsqu'il est question de mesurer une activité collective.
Prenons l’exemple d’un proviseur d’établissement scolaire. Le directeur va gérer les aspects administratifs liés au fonctionnement de la structure mais n’est en aucun cas le supérieur hiérarchique des professeurs exerçant dans son établissement. Le superviseur direct des professeurs est l’inspecteur académique. Bien souvent, ce dernier passe une à deux fois par an dans chaque établissement dont il a la charge.
Etant donné le nombre d’établissements présents sur son périmètre, parfois une vingtaine, il sera difficile pour un inspecteur de passer très régulièrement visiter les professeurs, les observer et donc les accompagner vers plus de performance individuelle. Dans ces conditions de « management », peut-on vraiment parler d’une évaluation du travail des professeurs reflétant leur réalité quotidienne ?
Il est nécessaire de changer les moyens managériaux dans la fonction publique. Pour réussir à intégrer efficacement la notion de performance, un changement d’état d’esprit doit s’opérer au niveau de l’organisation de l’institution publique dans son ensemble. Accompagner chaque agent vers une meilleure identification de son impact individuel permettra d’éviter un nivellement par le bas des prestations proposées par le service public et de répondre aux exigences des Français.