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Télétravail : faut-il adapter le salaire en fonction du lieu d'habitation des salariés ?

Télétravail : faut-il adapter le salaire en fonction du lieu d'habitation des salariés ?
15 juin 2020

Salaires

En 2018, le taux du télétravail varie entre 2% dans les pays du sud-est de l’Europe (Grèce, Croatie, Bulgarie) à 15% dans les pays du Nord de l’Union (Danemark, Suède, Finlande). Selon une étude Eurostat de 2018, la pratique du télétravail en Europe est passée de 5,8% en 2008 à 8,3% en 2018 alors qu'il a atteint les 85% au pic de l’épidémie de Covid-19 en avril dernier.

Selon une étude réalisée en interne par Facebook et relayée par Le Monde, plus de 50% des employés du célèbre réseau social s’estiment plus productifs en télétravail, et 20% à 40% se disent intéressés par la possibilité de télétravailler de façon permanente. Parmi les avantages du télétravail mis en avant par Mark Zuckerberg, plus d’égalité des chances dans les carrières, des recrutements plus diversifiés à travers le monde, mais aussi et surtout des économies sur les infrastructures et notamment, sur les salaires qui seront dorénavant ajustés en fonction du lieu de résidence de chacun.

Faut-il suivre l’exemple de Facebook et adapter le salaire en fonction des coûts du lieu d’habitation du télétravailleur ? Quels sont les risques de dérive d’un tel système sur le recrutement, mais aussi sur la rétention des talents ? Dans cet article, une réflexion autour du concept d’indexation du salaire en fonction du lieu de télétravail et sur ses conséquences en matière de concurrence entre les talents, mais aussi entre les entreprises.

La décision de Facebook : indexer le salaire en fonction du coût du lieu d’habitation du salarié

La crise sanitaire a eu des conséquences importantes sur nos modes de travail, et aujourd’hui des millions de salariés sont en télétravail à travers le monde

Les géants du numérique n’échappent pas à la règle. Mark Zuckerberg, le célèbre patron de Facebook, a annoncé à ses salariés le développement du télétravail, mais a des conditions pour le moins surprenantes. Les salariés qui espéraient télétravailler depuis leur maison de campagne, et augmenter leur pouvoir d’achat en se délocalisant loin de la Silicon Valley, région où les prix des logements sont les plus élevés au monde, peuvent faire une croix là-dessus. La raison ? Facebook a décidé de réévaluer les salaires à la baisse en fonction du nouveau lieu de travail de ses salariés. "Nous allons être l’entreprise la plus avant-gardiste en matière de télétravail à notre échelle", a-t-il déclaré lors d’une récente conférence vidéo avec ses salariés.

Alors que près de 50% des salariés Facebook pourrait devenir des travailleurs à distance dans les cinq à dix prochaines années selon le chef d’entreprise, celui-ci annonce la couleur à quiconque se réjouirait trop vite : le travail à distance permettra au CEO de "recruter de manière agressive dans tout le pays". Les bonnes nouvelles n’arrivant jamais seules, en complément au recrutement de salariés à travers tout le pays, voire le monde dans un second temps, Mark Zuckerberg a informé ses salariés que ceux qui décideraient de déménager vers des endroits moins chers que la Silicon Valley, pour espérer augmenter leur pouvoir d’achat, devraient automatiquement accepter une baisse de leur salaire, celle-ci serait alors contractuellement indexée au coût de leur nouveau lieu de vie dès le 1er janvier 2021. Pour s’assurer de l’endroit de télétravail de ses salariés, il espère traquer les lieux de vie des salariés et ajoute qu'il y aura de "graves conséquences pour ceux qui ne seraient pas honnêtes à ce sujet".

 

Le statut privilégié des salariés des Gafas est-il en péril face à l'ouverture du recrutement à tous les télétravailleurs ?

Les Gafas offrent des salaires mirobolants

Facebook, Google, Microsoft, etc., ont la réputation de très bien payer leurs salariés, stagiaires y compris, afin de leur permettre de vivre dans la région de San Francisco qui abrite la célèbre Silicon Valley, moteur mondial des évolutions IT classée comme la métropole la plus chère du monde en matière de logement, loin devant la City à Londres ou encore Paris.

Ainsi, à East Palo Alto, ville proche de San Francisco choisie par Facebook pour y installer son siège en 2011, le prix des logements a doublé voir triplé ces dernières années. Pour attirer les talents et leur permettre de se loger à proximité de leur lieu de travail, Facebook et les autres géants du numérique ont fait le choix de proposer les salaires parmi les plus élevés du monde. De telle sorte que le salaire médian chez Facebook dépasse les 240 000 dollars, complété par de très nombreux avantages non négligeables qui font rêver les salariés du monde entier : repas gratuit, navettes pour se rendre sur site, salles de sport et de jeux à disposition, espace bien-être en accès libre, etc. Le salaire moyen d’un développeur débutant peut ainsi avoisiner les 12 000 dollars par mois. Par ailleurs, les stagiaires ne sont pas en reste, avec une moyenne de 8 000 dollars d’indemnités, les jeunes diplômés qui décrochent un stage chez Facebook dans la Silicon Valley sont ainsi en mesure, de rembourser leurs frais de scolarité, qui se comptent en plusieurs dizaines milliers de dollars par an, mais aussi ceux inhérents à la location d’un logement dans cette région hors de prix.

Des disparités de salaires encore très importantes

En comparaison, selon Glassdoor, site de notation d’entreprises qui compile avis et niveaux de salaires pratiqués par les entreprises, le salaire mensuel médian des actifs américains s’élèverait à 3 260 dollars, soit environ 2 887 euros. Ces chiffres publiés par le Bureau of Labor Statistics, l’équivalent américain de l’Insee, témoignent d’une grande disparité entre le salarié américain lambda et celui travaillant dans la Silicon Valley dans l’univers de la Tech.

Toujours selon Glassdoor, même si Facebook est l’employeur qui paye le mieux ses stagiaires, il est suivi de près par les autres Gafas de la Silicon Valley, ainsi on découvre qu’Amazon rémunère ses stagiaires 7 725 dollars par mois, suivi de près par Google et Salesforce. Microsoft, pour continuer à être attractif auprès des jeunes talents de la Tech, n’a pas eu d’autres choix que de s’aligner sur les salaires exorbitants proposés par ses concurrents : le géant du logiciel arrive aujourd’hui à la 5e place des entreprises les plus généreuses en matière de salaire, et propose plus de 7 250 dollars par mois aux stagiaires, qui contrairement à leurs homologues de la Silicon Valley, rejoignent quant à eux un siège basé à Redmond dans l’état de Washington. La guerre des talents oblige déjà les entreprises à s’aligner sur les salaires. Dans ce contexte, comment considérer la décision de Facebook d’indexer les salaires au lieu d’habitation et au réel coût de la vie de ses télétravailleurs ?

Les conséquences du télétravail sur les recrutements et les salaires

Les autres géants de la Silicon Valley vont-ils emboîter le pas à Facebook et proposer un salaire en fonction du lieu d’habitation du salarié ?

Si pour le moment Facebook fait figure d’exception, nul doute que le télétravail pourrait avoir de sérieuses conséquences sur les prochains recrutements de la société dans le pays, et pas uniquement sur les salaires. En effet, en indexant le salaire au lieu d’habitation, l’on peut imaginer que les connaissances, les compétences et les capacités de chacun n’auraient plus la même valeur en fonction de l’endroit où il se trouve.

Si une entreprise parvient par exemple à trouver les compétences qu’elle recherche en Inde ou en Chine, pays où le coût du travail est relativement moins élevé qu’en Europe, il est fort probable que les salaires soient fortement tirés vers le bas.

La question de l’utilité d’un siège est également au centre des questions soulevées par le télétravail

L’entreprise a-t-elle réellement besoin d’un siège physique où rassembler ses travailleurs, lesquels exercent majoritairement en télétravail ? En plus du risque de déshumanisation induit par le « full remote » ou télétravail à temps plein, la seule corrélation de la compétence au lieu de résidence au détriment du travail associé est un danger. Pour les candidats en recherche d’un CDI notamment, qui devront faire face à une concurrence non plus locale, mais également internationale à l’image de ce qui peut déjà se pratiquer dans le cadre de la sous-traitance de tâches informatiques par exemple : les salariés pourraient subir une "externalisation"de leur fonction. Tous les salariés pourraient être ainsi impactés par un recrutement en télétravail couvrant la planète entière et ne laissant plus de limites au vivier de candidats disponibles. Les postes les plus stratégiques, ou encore ceux de cadres dirigeants seraient relativement épargnés par l’externalisation de leurs fonctions vers d’autres pays, moins évidente.

Le droit français n’autorise pas l’indexation du salaire en fonction du lieu de résidence

En France, il serait techniquement impossible de recruter des candidats et de les rémunérer en fonction de leur lieu de résidence. La raison ? Le droit du travail interdit cette "discrimination" relative au lieu de résidence et ne prévoit pas ce principe. Néanmoins, la réduction ou l’aménagement des conditions de rémunération peut être discuté et modifié à une seule condition, mettre syndicats du personnel et direction autour d’une table et obtenir l’accord de toutes les parties. Dans le cadre d’un PSE par exemple, les salariés pourront accepter une baisse de 5% de leur salaire à condition d’en avoir discuté au préalable et, surtout, d’avoir donné leur accord dans le cadre de négociation avec la direction.

 

La rémunération variable est le meilleur moyen d’aller chercher de la performance, et plus encore en période de crise économique

La crainte d'un licenciement inhibe la motivation des salariés

La peur de perdre son emploi n’est pas le meilleur moyen de motivation, au contraire, cette crainte peut paralyser certains salariés, qui à juste titre, sont très inquiets quant à leur avenir professionnel. En période normale, et plus encore dans une situation de ralentissement économique, il faut mettre à disposition des salariés des moyens pour aller chercher de la performance. Par nature dans un monde plus incertain, les entreprises si elles souhaitent traverser la tempête, ont encore plus besoin de performance, et la rémunération variable peut jouer un rôle essentiel dans la mise en place de ce cercle vertueux. L’espérance de gains élevés va pousser le salarié à se motiver, se transcender et s’investir davantage dans ses missions. Un moyen fort d’aller chercher de la performance est ainsi de proposer une réelle stratégie de rémunération variable au salarié, qui sera d’autant plus motivé à atteindre ses objectifs, voire à les dépasser.

Par ailleurs, rappelons que le droit français n’autorise pas la baisse de salaires de manière unilatérale, néanmoins dans le cas où l'entreprise rencontrerait d’importantes difficultés économiques, comme c’est le cas notamment en période de crise sanitaire, on observe plus logiquement un gel des salaires fixes qui constitue un levier de précaution qui s’entend. Les salariés ne sont pas augmentés, et perdent l’effet de l’inflation, ce qui revient à subir une baisse de leur pouvoir d’achat. En revanche, pour parvenir à motiver ses collaborateurs, la rémunération variable est le meilleur investissement possible à condition de bien la définir.

Certains grands patrons ont adopté des mesures symboliques d’austérité et ont communiqué sur une baisse plus ou moins significative de leur salaire, c’est le cas par exemple de Ben Smith, Directeur général d’Air France, qui touche un salaire annuel fixe de 900.000 euros par an, et qui a néanmoins annoncé par communiqué le 23 avril dernier renoncer à "25% de sa rémunération pendant la crise liée au covid-19".

Réinjecter les économies de frais de bureau dans l’entreprise ?

En télétravail, l'infrastructure perd de son utilité

En “full remote”, c’est-à-dire en télétravail exclusif, l’on pourrait imaginer qu’une entreprise n’ait plus forcément d’utilité dans la possession d’un siège physique. L'entreprise pourrait également faire le choix de réinjecter, totalement ou partiellement, le budget initialement alloué à la location des bureaux et à la matérialisation de son siège social. Dans une configuration où la moitié de ses effectifs serait en télétravail, le budget de l’entreprise relatif aux frais de location de bureau deviendrait également beaucoup plus faible.

Côté salariés, une nouvelle question se pose : en télétravail, est-il possible de défalquer un pourcentage de son loyer ou d’un remboursement de son crédit ? L’envisager peut être pertinent, notamment s'il est marqué expressément dans le contrat de travail que le salarié travaille à distance. La facturation d’un quart ou d’un cinquième de son coût d'habitation apparaît comme envisageable avec un défalcage de ses impôts. Par ailleurs, notons que si le télétravail venait à se généraliser dans le futur, il y a de grandes chances pour que les salariés cherchent à s'agrandir, avec par exemple le choix d'un logement proposant un bureau pour travailler dans de bonnes conditions. Pour les foyers où deux personnes, voire plus, sont en télétravail, il faudra encore plus de volumes et d’espaces pour installer des lieux de travail de façon pérenne.

Le full remote rend possible la “délocalisation” des emplois à travers le monde et soulève une question éthique

Le terrain de chasse des recruteurs n'a plus de limites géographiques

Comme l’a expliqué Mark Zuckerberg, le fonctionnement en télétravail exclusif lui permettra d’ouvrir les recrutements à l'ensemble des États-Unis, mais aussi à d’autres pays à travers le monde. Une nouvelle compétition internationale va ainsi voir le jour entre les salariés et soulève ainsi une question morale : faut-il externaliser les postes initialement en CDI dans les pays présentant un coût du travail plus faible ?

Si certains employeurs y songent, il est important de dissocier les missions pouvant réellement être externalisées, de celles revêtant une dimension stratégique à préserver sur le territoire. La valeur de production, de créativité des idées, d’inventivité et de réflexion va être ainsi difficilement externalisable, celle-ci s’ancrant dans une réalité culturelle, l’histoire d'un pays et de ses habitudes socio-culturelles. Être au fait de l’actualité, abonné à des news locales ou partager un héritage culturel commun est essentiel dans certaines fonctions clés : il est plus évident de concevoir des projets à destination de clients dont on partage le vécu et les usages.

Dans une autre mesure, les métiers dits “d’exécution”, notamment dans le développement informatique, subissent déjà et pourraient à l’avenir subir une délocalisation encore plus forte mettant en concurrence les développeurs du monde entier, qui peuvent coder de n’importe où en se basant sur des cahiers des charges des entreprises qui passent commande.

Enfin, le facteur humain a une importance cruciale dans la performance d’une entreprise. Les interactions humaines peuvent lever certains blocages et permettre aux membres d’une même équipe de travailler ensemble plus efficacement. Par ailleurs, rappelons qu’avec une externalisation internationale des emplois, d’autres contraintes vont apparaître, notamment d’ordre technique : la concordance des fuseaux horaires. Les horaires de travail décalés impactent directement la réactivité, mais aussi le bien-être des salariés, ces derniers étant obligés de s’adapter aux horaires d’autres pays avec parfois 8 heures de décalage et de répondre à des sollicitations urgentes à toute heure du jour … comme de la nuit !

 

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Auteur de l'article

Hervé de Riberolles

Directeur Associé de Primeum - Expert en motivation des employés par la rémunération variable

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