Le blog de la rémunération variable

La rémunération variable, une réponse à la guerre des services de streaming : le cas Netflix

Rédigé par Hervé de Riberolles | 22 janv. 2020

« Il n'y a jamais eu de meilleure période pour être un producteur de contenus » - Reed Hasting, le patron de Netflix lors de son passage à Paris pour lever le voile sur un accord de distribution en France entre Canal+ et le géant américain – Extrait article lesechos.fr

Arrivé en France en 2014, Netflix s'est imposé comme le leader incontestable du streaming vidéo dans l’Hexagone. Moyennant un abonnement de 7,99 euros par mois, la plateforme internet, déjà présente dans une cinquantaine de pays, propose un large catalogue de films et de séries accessibles en illimité sur télévision, smartphone, tablette, ordinateur ou encore console de jeux.

Alors que la plateforme Netflix détient le monopole mondial du marché du streaming avec un chiffre d’affaires annuel dépassant les 15,79 milliards de dollars, la concurrence s'organise et s’intensifie pour contrer son ascension. Pour faire face à l’arrivée de nouveaux concurrents comme Amazon Prime, Disney+ ou encore Apple TV+, la célèbre plateforme de streaming vidéo a décidé de refondre entièrement son système de rémunération variable destiné aux producteurs de contenus.

Son ambition ? Convaincre les grands noms d’Hollywood, réalisateurs et producteurs, de collaborer avec la plateforme en leur proposant des bonus commerciaux beaucoup plus attractifs. Dans cet article, retour sur la nouvelle stratégie de rémunération variable de Netflix !

1) Une guerre des services de streaming qui intensifie la concurrence sur le marché

De nouvelles plateformes de streaming challengent directement Netflix, leader du marché

Amazon, Apple, OCS ou encore Disney investissent des millions de dollars pour proposer dans leur catalogue de programmes les séries les plus populaires ainsi que les films qui ont eu un certain succès au box-office, produit d’appel incontournable pour ces plateformes de streaming. De quoi réellement inquiéter le géant américain,

« le fait que Netflix ait enregistré une croissance décevante aux États-Unis avant l'arrivée des nouveaux concurrents est de mauvais augure pour 2020 et au-delà », déclarait à ce titre Eric Haggstrom, dans un article francetvinfo.fr.

Netflix se prépare à perdre des contenus très populaires avec l’arrivée de la concurrence

La plateforme doit retirer de son catalogue l’ensemble des productions Star Wars, Pixar ou encore Marvel, dont elle avait en partie les droits de diffusion jusqu’ici et qui appartiennent à Disney. Par ailleurs, la série Friends sera de nouveau la propriété de WarnerMedia début 2020, qui s’apprête à lancer HBO Max.

Alors que Disney+ mise sur un impressionnant catalogue de films et de séries, disponible dès novembre prochain pour moins de 7 dollars par mois aux États-Unis, Apple TV+, aux contenus plus limités, capitalise quant à elle, sur un offre marketing agressive, avec un abonnement qui coûtera moins de 5 dollars par mois, soit moitié moins cher que celui proposé par Netflix dans le pays.

Alors que certaines plateformes de streaming déclarent une guerre ouverte à Netflix, d’autres acteurs du marché font le choix de s’allier au géant américain, c’est le cas notamment du groupe audiovisuel français Canal+. Depuis le 15 octobre dernier, Canal+ propose ainsi à ses clients un nouveau bouquet avec un accès à la plateforme Netflix. Cet événement majeur dans le monde de l’audiovisuel marque la volonté des canaux de diffusion traditionnels, en perte de vitesse, d’aller vers la vidéo à la demande et les services de streaming, en plein essor à travers le monde. Le leader de la vidéo en ligne a ainsi gagné plus de 6,7 millions d’abonnés payants uniquement sur le troisième trimestre 2019 et engrangé plus de 5 milliards de dollars de chiffre d’affaires sur la même période, tous pays confondus. Maxime Saada, Président du Directoire du groupe Canal+ déclarait à propos de cette collaboration historique qu’elle donnait naissance à « l'offre de cinéma et de séries la plus riche du marché ».

C'est dans ce contexte tendu que Netflix a décidé de mettre en place un nouveau système de rémunération variable des producteurs de contenus et réalisateurs.

 

2) Quelles différences entre l’ancien et le nouveau système de rémunération variable de Netflix ?

Les bonus proposés par Netflix : entre films récompensés et nombre de visionnages

Netflix a choisi de mettre en place deux modes de bonus différents. Le premier bonus viendrait directement récompenser les films d’auteur et serait corrélé au nombre de récompenses remportées par ces films prestigieux. Nous pouvons citer par exemple, le film « Roma » du réalisateur Alfonso Cuarón, premier film financé par Netflix à avoir obtenu de prestigieuses récompenses, un Lion d’Or à la Mostra de Venise et le Golden Globe du meilleur film en langue étrangère la même année.

En effet, les contrats mis en place entre les studios hollywoodiens, les producteurs, les acteurs plus ou moins connus, ou encore les réalisateurs comportent une clause de rémunération variable qui dépend directement des performances du film au box-office. Plus ce dernier a du succès auprès du public, plus les différentes parties prenantes engrangent une rémunération variable importante. Pour l'exemple, l’acteur Robert Downey Jr, mondialement connu pour son rôle d’Iron Man au sein de la franchise « Marvel » de Disney, voit sa rémunération exploser et gagne ainsi davantage par ce système de bonus qu'avec son salaire fixe. Le second bonus envisagé par Netflix serait quant à lui directement indexé sur le nombre de visionnages du film sur la plateforme. Ce bonus vise à rémunérer les productions davantage destinées au grand public et pour lesquelles il est plus pertinent de mesurer le nombre de visionnages que le nombre de prix remportés aux différents concours internationaux. Ce modèle de rémunération variable, basé directement sur le nombre de visionnages, rappelle celui pratiqué jusqu’à lors dans l’industrie du cinéma.

La plateforme de streaming vidéo aux plus de 150 millions d’abonnés espère convaincre les grands noms d’Hollywood de collaborer avec elle

L’ancien système de rémunération proposé par Netflix était moins motivant en matière de gain potentiel. En outre, Netflix garantissait la prise en charge des frais de production et proposait une prime supplémentaire aux producteurs, assurant ainsi, indépendamment du succès du film, un bénéfice avant même que ce dernier soit en ligne. Cet ancien fonctionnement, que l’on pourrait qualifier « au forfait » offrait un certain confort aux producteurs, notamment pour ceux les moins connus, mais plafonnait directement leur gain potentiel.

Dans cet ancien système, où le réalisateur était payé à la « tâche » et non au succès, même si un film connaissait un succès monumental sur la plateforme, la rémunération du producteur restait la même. Ainsi, le leader mondial des services de streaming a été contraint de revoir sa politique de rémunération variable pour faire face à l’arrivée de concurrents de taille sur le marché, prêts à séduire les meilleurs réalisateurs. Grâce à la mise en place de ces différents bonus, d’abord sur le nombre de prix remportés, puis sur le nombre de visionnages, Netflix se montre plus généreux et espère attirer les talents du cinéma traditionnel.

Face à une concurrence accrue, le réflexe de Netflix a été d’introduire de la rémunération variable là où auparavant il n’y en avait pas

La rémunération variable représente ainsi une solution dans un contexte concurrentiel fort. Nous pouvons faire le parallèle avec le marché du recrutement de cadres en France, de plus en plus tendu dans certains secteurs pénuriques, à l’image du digital ou de la data science dont les entreprises se disputent les talents

3) Un SYSTÈME de commissionnement qui a ses limites

Netflix choisit de mettre en place un système traditionnel de « commissionnement », qui récompense la contribution à un résultat global

La rémunération variable développée par le géant du streaming s’inscrit dans une logique purement « contributive ». Ce modèle, très entrepreneurial vient récompenser les réussites tangibles et incitent producteurs et réalisateurs à aller chercher de la performance pour leurs réalisations, qualitative dans le cadre du bonus valorisant les prix remportés, mais aussi quantitative, en récompensant le succès en termes de visionnages des films « grand public ».

La logique de commissionnement est utilisée depuis de nombreuses années, y compris dans l’industrie du cinéma où certains acteurs et réalisateurs sont rémunérés « à la réussite commerciale » du film, soit directement en fonction du nombre d’entrées réalisé. Néanmoins, le procédé de calcul de la rémunération variable basé sur le nombre de visionnages développé par Netflix apparaît comme totalement disruptif dans le secteur de la vidéo à la demande et du streaming

Les limites du système de rémunération variable de Netflix

La limite additive

Les deux bonus proposés par Netflix le sont de manière additives ce qui fait qu'un réalisateur de films ou séries d'auteur, ira chercher le premier tandis que le réalisateur de films ou séries très grand public ira chercher le bonus sur le nombre de visionnages. Ainsi, cette rémunération variable ne pousse pas à faire les deux alors que c'est la performance attendue par Netflix. On pourrait s'interroger sur d'autres moteurs de calcul pour ce système de rémunération qui permettrait que ces deux bonus soient imbriqués l'un dans l'autre à l'instar du nappeur Primeum expliqué dans cet article sur la modernisation de la rémunération variable.

La limite d'équité

On peut également s'interroger sur les dispositifs promotionnels des films ou séries :

  • certains sont très fortement poussés dans les publicités de la plateforme comme La Casa De Papel qui a vu une campagne d'affichage pour la sortie de son troisième volet
  • certains sont mis en recommandation de la plateforme et sont poussés par l'algorithme. Que se passe-t-il si l'algorithme met en avant une création au détriment d'une autre ? Sans réflexion d’équité derrière, le système de rémunération variable peut devenir bancal, à la manière des algorithmes de YouTube qui font débat chez les Youtubeurs aujourd’hui.

Cela pose le problème de l'équité entre les films et séries étant fortement mis en avant qui auront forcément beaucoup plus de visionnages et les films et séries pouvant être de qualité mais n'étant pas mis en avant.

La limite de liberté créative

Se pose alors la question de la diversité des contenus ? Les réalisateurs ne risquent-ils pas d’aller vers une homogénéisation des productions ?

Les programmes plus éclectiques, non destinés au grand public et aux concours internationaux de films d’auteur pourraient donc être relégués au second plan, au profit de contenus « plus rentables ». 

 

L’arrivée sur le marché de nouveaux opérateurs tels que Disney ou encore Apple est une bonne nouvelle pour les réalisateurs qui auront accès à de plus fortes rémunérations du fait de la concurrence entre les différents acteurs, néanmoins le client final, consommateur de films ou de séries originales qui sortent de l’ordinaire, pourrait être lésé