Le blog de la rémunération variable

Verser le salaire en plusieurs fois : avantages et inconvénients

Rédigé par Hervé de Riberolles | 16 mars 2022

Un tiers des Français serait favorable au versement de son salaire en plusieurs fois. Être rémunéré au moins deux fois par mois est souvent présenté comme une solution pour mieux gérer son budget. Pourtant, de nombreuses contraintes compliquent l’adoption de cette méthode, prisée des Anglo-saxons. Alors, verser le salaire en plusieurs fois, est-ce la panacée des employés ? Retour sur les avantages et les inconvénients de cette approche.

Les jeunes salariés français, adeptes du salaire en plusieurs fois

« En pleine crise du pouvoir d’achat, nous pourrions commencer par mieux payer les actifs, pas forcément plus. Si les ménages recevaient leurs salaires en deux ou trois fois, ils pourraient mieux gérer leur budget mensuel et éviter de se retrouver à découvert dès la première quinzaine » Arbia Smiti, PDG de Rosaly, Le Parisien.

En février 2022, un sondage réalisé par OpinionWay pour la startup Rosaly, spécialisée dans le développement de l’acompte sur salaire, a révélé que 39% des Français souhaiteraient obtenir le versement de leur salaire au moins deux fois par mois.

Les personnes de moins de 35 ans, interrogées dans le cadre de cette étude, sont même 6% à vouloir un salaire versé en plusieurs fois. Les chiffres révèlent également que 19% des sondés aimeraient être rémunérés tous les jours, 27% toutes les semaines, et jusqu’à 37% d’entre eux apprécieraient de recevoir un versement toutes les deux semaines.

Parmi les principaux arguments avancés pour expliquer une telle préférence, celui du pouvoir d’achat. Recevoir son salaire en plusieurs fois pourrait aider les ménages à mieux gérer leur budget et leur éviter de se retrouver à court de ressources en milieu de mois.

Mais face à ces volontés affichées par les actifs, notamment les plus jeunes, se dressent de nombreux obstacles juridiques et sociétaux.

Adopter un paiement fractionné du salaire : les nombreux obstacles à ce changement de méthode

« […] Le paiement de la rémunération est effectué une fois par mois. Un acompte correspondant, pour une quinzaine, à la moitié de la rémunération mensuelle, est versé au salarié qui en fait la demande. Ces dispositions ne s’appliquent pas aux salariés travaillant à domicile, aux salariés saisonniers, aux salariés intermittents et aux salariés temporaires « Article L3242-1 du Code du travail, Legifrance.gouv.

En France, le Code du travail interdit le paiement fractionné du salaire, à l’exception de certaines situations professionnelles. La législation vise ainsi à protéger les droits des salariés en évitant les licenciements abusifs. Mais au-delà du monde du travail, c’est toute la société française qui vit à un rythme mensuel.

L’interdiction du Code du travail

Si le Code du travail impose le versement mensuel du salaire, c’est dans le but de préserver les salariés. En obligeant les employeurs à rémunérer leurs collaborateurs chaque mois, la loi les force à s’engager sur un temps long. Pour consolider les droits des travailleurs, les procédures de licenciement sont longues et s’étalent, le plus souvent, sur plusieurs mois.

Introduire une rémunération sur un temps plus court, à la semaine par exemple, comprendrait la révision de l’ensemble de la législation actuelle. Car un salaire versé plus souvent implique la possibilité de rompre le contrat de travail plus rapidement, et donc plus facilement. Au-delà de la loi, c’est toute la philosophie du travail des Français qu’il faudrait alors reconsidérer.

Les habitudes économiques des Français

Le versement plus régulier du salaire n’est viable que si l’ensemble des charges est prélevé au compte-goutte. Or, ce n’est actuellement pas le cas en France. En moyenne, 35% de la rémunération individuelle est dépensée dans les charges fixes. À ces dépenses s’ajoutent d’autres charges courantes et inévitables. Ainsi, c’est près de la moitié de la rémunération mensuelle qui est engloutie, automatiquement, en début de mois dans divers paiements.

Si le salaire est versé en plusieurs fois, comment gérer son budget, alors que la première fraction obtenue disparaît immédiatement dans les charges ? Dans un tel contexte, vivre jusqu’au prochain versement s’avère difficile, et la perspective de voir son pouvoir d’achat augmenter s’évanouit. Seuls les foyers n’ayant que très peu de charges, ou pouvant les payer en plusieurs fois, pourraient y trouver leur compte.

Par ailleurs, de nombreuses démarches seraient alors, au minimum compliquées, au pire impossibles. À titre d’exemple, la location d’un logement en France implique, habituellement, le versement préalable d’un mois de loyer en guise de caution. Dans le cas d’un salaire versé en plusieurs fois, il faudrait donc réviser ces pratiques pour les adapter et imposer, le cas échéant, une caution correspondant à une ou deux semaines de loyer.

 

Plusieurs salaires à verser : des complications administratives pour les entreprises

« Le fait d’éditer deux bulletins de salaire, le fait de payer vos cotisations sur une partie puis sur une deuxième […] pourquoi pas, mais à condition que ce soit une possibilité offerte et non une obligation imposée » Benoît Serre, vice-président de l’association des DRH, RMC-BFM.TV.

Du côté des entreprises, le principal frein au versement du salaire en plusieurs fois est l’alourdissement des contraintes administratives. Bien plus que le coût que représente l’édition d’un bulletin de salaire, c’est davantage le travail supplémentaire qui incomberait alors aux gestionnaires de paie qui pose réellement problème. Car la multiplication des salaires engendre la multiplication du calcul des droits et des charges sociales. Des tâches supplémentaires à effectuer régulièrement, pour un bénéfice finalement moindre pour les collaborateurs.

L’attrait pour le salaire en plusieurs fois et le rapport des jeunes salariés à l’argent

Comme nous l’avons vu, le paiement fractionné du salaire ne peut pas aider les salariés à épargner ni à voir leur pouvoir d’achat augmenter. Le droit français et l’ensemble des paramètres économiques actuels de la société ne le permettent pas.

En réalité, les résultats de l’étude commandée par Rosaly interrogent sur le rapport des jeunes actifs à l’argent et sa gestion. Car c’est principalement les jeunes salariés qui adhèrent à l’idée d’un salaire versé en plusieurs fois. Cette préférence pourrait-elle traduire des lacunes dans leur éducation financière et leur culture économique ? Il faut probablement aussi trouver l’origine de cette volonté de changer de système dans l’attrait manifeste pour le modèle anglo-saxon. 

Ce que permet la culture économique des pays anglo-saxons

L’Australie, les États-Unis ou bien le Royaume-Uni ont depuis longtemps adopté cette méthode. Les salariés reçoivent un salaire toutes les semaines, voire tous les jours, dans certains cas. Cela est possible car la culture et le rapport à l’emploi de ces pays le permettent.

En effet, les pays anglo-saxons ont adopté le salaire en plusieurs fois puisque leur législation permet beaucoup de flexibilité dans le monde de l’entreprise. Il est ainsi possible d’engager un salarié pour un temps très court (parfois de quelques jours) et de mettre fin rapidement à son contrat de travail. De plus, ces contrats courts n’entraînent pas les coûts pour les employeurs ni les contraintes pour les salariés qu’impose le système d’intérim français. Dans le système très flexible à l’anglo-saxonne, l’obligation d’un salaire mensuel n’aurait donc pas de sens ni d’intérêt.

Le versement très régulier du salaire s’inscrit dans une culture du travail sensiblement différente de la nôtre. Ainsi, au Canada, en Australie ou encore aux États-Unis, les jeunes actifs, y compris les diplômés, ont l’habitude de gravir les échelons de l’entreprise en commençant par le bas. 

Le système des promotions et d’accès facilité à des postes de plus en plus élevés est une façon d’atteindre progressivement ses objectifs de carrière, en découvrant la réalité de chaque poste de travail. Cette vision de la méritocratie présente l’intérêt d’ancrer dans la réalité les futurs managers.

L’équilibre périlleux entre flexibilité et sécurité

En France, la culture d’entreprise est différente. Les salariés ont une autre conception de leurs droits et de la sécurité de l’emploi, que la loi encadre avec rigueur. Le salaire mensuel fait précisément partie des outils mis à disposition par la législation pour protéger les actifs. 

Les Français seraient-ils prêts à accepter autant de flexibilité que les travailleurs anglo-saxons et tout ce qu’elle implique concernant les droits des salariés ? Car trouver le juste équilibre entre la flexibilité et la sécurité peut être difficile en matière d’emploi.

Le salaire versé en plusieurs fois apporterait plus de flexibilité au système français. Cette flexibilité supplémentaire permettrait de fluidifier les embauches. Mais dans ce cas, l’engagement d’un nouveau collaborateur deviendrait un acte de foi et reposerait sur une base toute différente.

L’acompte sur salaire, un système totalement différent

Il est important de ne pas confondre le versement du salaire en plusieurs fois et l’acompte sur salaire. L’acompte permet au salarié de demander à être payé avant d’obtenir le versement de sa paie. Il s’agit d’une dette qu’il lui faut rembourser immédiatement à son employeur. En plus de trahir des problèmes de gestion de trésorerie évidents, le système d’acompte présente des risques pour le salarié.

La rémunération ou le versement du salaire en deux temps

La rémunération variable permet de dissocier la période de performance de la période de paiement. La période de performance est à la fois le laps de temps au cours duquel le plan d’actions du collaborateur est mis en œuvre et le moment où l’on en apprécie les résultats. La période de paiement est plus courte et concerne le versement d’acomptes calculés et non fixes. Ces deux périodes n’ont pas le même rythme.

Si la rémunération variable est mensuelle, la période de performance peut être trimestrielle. Il s’agit, dans ce système, de projeter le résultat final et de payer au collaborateur une partie, non acquise, de la rémunération variable. Une régularisation se fait au bout de trois mois, selon la performance du salarié.

Pour limiter le trop-perçu, il est important d’établir des règles dans le calcul de l’acompte. Le risque est que le collaborateur réalise une belle performance au cours du premier mois et soit en dessous de ses objectifs les deux mois suivants. L’acompte peut donc être disproportionné le premier mois. La régularisation s’avère donc cruciale.

Le modèle de la rémunération variable permet de répondre aux attentes des salariés désireux de recevoir leur salaire en plusieurs fois sans les mettre en danger économique. Elle présente des avantages pour l’entreprise et ses collaborateurs et n’est pas concernée par les obstacles qui se dressent devant l’introduction du salaire en plusieurs fois.